Dès qu’on entre au MEM - Centre des mémoires montréalaises, on s’aperçoit qu’il ne s’agit pas d’un musée comme les autres. Ou qu’il ne s’agit peut-être pas tout à fait d’un musée, finalement. Le MEM, réincarnation de l’ancien Centre d’histoire de Montréal, est un espace muséal où l’histoire de la métropole est racontée à travers les récits des humains qui l’ont bâtie et qui font d’elle ce qu’elle est aujourd’hui: une ville où tout le monde a sa place.
Là où les petites histoires sont aussi importantes que les grandes
On ne va pas au MEM pour voir une exposition, on y va pour vivre une expérience. Exit la traditionnelle présentation chronologique du colonialisme. Ici, on nous parle de nos dépanneurs, projet entrepreneurial et oasis d’espoir des familles immigrantes, du mythique Café Cléopâtre et du rôle qu’a joué son propriétaire dans la floraison du nightlife de la communauté 2ELQBTQI+ ou encore on met en lumière les contributions de PANDC à travers des poèmes prenant racine dans les questions d’identité, d’inclusion et d’appartenance. Jusqu’en 2025, on peut également y plonger dans l’univers de Montréalais·es au parcours singulier à l’exposition temporaire immersive Détours, fruit d’une collaboration avec Urbania, ou encore enfiler une paire de chaussures et écouter l’histoire de la personne qui les a portées dans le cadre d’Un mile dans mes souliers, un projet qui favorise l’empathie à une époque où l’humanité en a grand besoin. Dès la mi-juin, les curieux pourront aussi découvrir la métropole différemment à l’exposition permanente.
Situé à l’angle de la rue Sainte-Catherine et du boulevard Saint-Laurent, au cœur du Quartier des spectacles, le MEM a ouvert ses portes au public en septembre 2023. Il a cependant fait l’objet de profondes réflexions pendant plus d’une décennie avant cela, alors que l’équipe de l’ancien Centre d’histoire de Montréal travaillait à développer une approche axée sur la mémoire citoyenne partagée. À partir de 2019, c’est un comité d’une soixantaine de personnes qui s’est penché sur l’approche et le contenu, s’assurant de représenter les multiples facettes de la montréalité.
«L’objectif était de créer un musée citoyen, où les petites histoires sont aussi importantes que les grandes», explique Annabelle Laliberté, cheffe de division du MEM et consultante chevronnée en muséologie. Aujourd’hui, il n’y a pas de doute: le MEM incarne cette volonté citoyenne.
L’humain comme levier marketing
Seulement, comment faire ressortir la singularité du MEM – ce qui le distingue des multiples musées à caractère historique de Montréal – dans les communications et le marketing ?
Selon Mme Laliberté, l’équipe n’a pas encore fini d’explorer les façons de transmettre l’esprit citoyen dans ses campagnes. «Le MEM est encore jeune, rappelle-t-elle. Nous sommes dans une année d’apprentissage où nous prenons tranquillement notre place et découvrons qui nous sommes tout en essayant de nous faire connaître auprès du public.»
Chose certaine, le nom MEM – issu de l’alliance des premières lettres des mots mémoires et Montréalais·ses – fait jaser, affirme la muséologue. Dans une première campagne publicitaire, il a été astucieusement utilisé pour promouvoir l’inauguration de l’espace, une initiative réussie si l’on se fie aux 30 000 personnes qui ont visité le centre depuis son ouverture.
«Nous avions le défi de nous appeler «MEM», un nom nouveau que personne ne connaissait et qui, à priori, ne veut rien dire. Afin de le populariser, nous l’avons intégré à diverses phrases d’accroche comme “MEM-tu ?” ou “Tout le monde MEM”». Juxtaposés à des visages qui illustrent la diversité de Montréal (évidemment), ces slogans pouvaient être lus sur des panneaux publicitaires et de l’affichage sauvage, dans des abribus et des campagnes sociales et numériques.
Or, ce qui fonctionne le mieux jusqu’à présent, selon Annabelle Laliberté, reste le bouche-à-oreille. Et ce n’est pas si surprenant. Un sondage réalisé par la firme Léger révèle qu’en matière d’activités culturelles ou artistiques, les médias traditionnels et les recommandations d’amis ou de la famille sont les sources d’influence les plus crédibles pour toutes les tranches d’âge.
«Le MEM étant axé sur l’humain, nous misons beaucoup sur un marketing communautaire et citoyen, autant sur le plan créatif que stratégique. Et, comme de fait, ce qui fonctionne le mieux pour l’instant, c’est l’influence de la communauté. Ce sont des gens qui nous amènent des gens», ajoute la cheffe de division. C’est tant mieux, étant donné que le MEM, entité municipale, dispose d’un budget relativement modeste.
«Nous organisons des événements et profitons aussi beaucoup de l’aide de nos partenaires majeurs comme le Quartier des spectacles et Tourisme Montréal, en plus de cogner aux portes de divers organismes en les invitant à parler de nous à leur monde. On essaie, dans toutes nos communications et notre marketing, de montrer que nous sommes le musée de tout le monde.»

La grande séduction d’une clientèle insaisissable
La clientèle que cible le MEM se divise en six personas: 1) le super Montréalais qui recherche une expérience éloignée des clichés, contemporaine et inédite; 2) la férue d’histoire qui recherche une expérience rigoureuse et intellectuelle; 3) l’activiste qui recherche une expérience engagée et à l’écoute; 4) l’émotive qui recherche une expérience humaine et anecdotique; 5) le butineur qui recherche une expérience spontanée, libre et simple; et 6) le m’as-tu vu qui recherche une expérience sociale un peu marginale et instagrammable. Tous et toutes des Montréalais et Montréalaises de résidence ou de cœur.
«Au début, on nous disait beaucoup qu’il fallait cibler les touristes, mais on a répété que, non, pas du tout. Le MEM a été créé par et pour les locaux. Les touristes qui veulent découvrir la vraie affaire vont nous trouver. Et ça fonctionne parce que ce sont bel et bien les gens d’ici qui recommandent de venir nous voir.»
Chacun des personas doit pouvoir trouver son parti au MEM, que ce soit dans les expositions temporaires et permanentes ou dans les diverses activités culturelles offertes. Chacun de ces personas est aussi au cœur de la stratégie de communication du musée, notamment d’une série d’infolettres mettant en vedette les différent·es acteur·rices (architectes, ouvrières, conservateurs, directrices et autres) ayant fait naître le MEM. Encore là, une initiative qui met l’humain à l’avant-plan. Mais l’humain ne cesse jamais de nous surprendre. Si l’équipe du MEM s’attendait à voir les six profils types franchir ses portes, elle s’attendait beaucoup moins à ce que ce soient principalement des gens de 18 à 30 ans.
«Tous les musées s’arrachent les cheveux pour attirer cette clientèle-là qui n’est pas du tout naturelle pour notre milieu. Eh bien, nous, je ne sais pas encore exactement comment nous y arrivons, mais c’est en plein ça.»
Est-ce parce que le tiers des expositions sont gratuites que les jeunes adultes affluent au MEM ? Dans le contexte économique actuel, c’est possible. Mais il suffit d’y mettre les pieds pour constater que son approche citoyenne et consciencieuse y est sans doute aussi pour quelque chose. C’est ce qui fait que tout le monde – même ceux et celles que l’histoire a trop souvent tendance à oublier – s’y sent comme chez soi.