Chargée de cours en éducation à la sexualité et candidate au doctorat en psychopédagogie à l’Université de Montréal, Sara Mathieu-C. est aussi détentrice d'un baccalauréat en sexologie et d'une maîtrise en sciences de l'éducation. Parmi ses maints projets, elle siège sur le conseil d’administration du Club Sexu, un média à but non lucratif spécialisé dans la création de récits, de jeux et d'événements pour parler de sexualité de façon plus positive, ludique et inclusive. Elle y contribue également en tant que membre de leur équipe scientifique. «Le Club vulgarise des connaissances sexologiques et scientifiques et rend visibles des perspectives et des expériences variées dans l’idée d’outiller les jeunes adultes et de leur permettre, à leur rythme et selon leurs besoins, de mieux communiquer sur des enjeux liés à la sexualité», explique-t-elle au bec.

Souhaitant encourager un dialogue sociétal plus ouvert quant à la sexualité et la santé sexuelle, le bec vous propose cette discussion avec Sara qui s’entend pour dire que «sans être la réponse à tout, une des pistes [à suivre pour y parvenir] est de multiplier les occasions de nommer et d’échanger, en ligne ou hors-ligne, à propos de thèmes tabous, stigmatisés ou qui sont toujours abordés sous le même angle.»

Pourquoi crois-tu que l’éducation à la sexualité soit laissée pour compte dans le système scolaire québécois, notamment au primaire et au secondaire? 
Sara:
Il y a plusieurs éléments qui peuvent contribuer au désengagement du système scolaire à l’égard de l’éducation à la sexualité même si, globalement, il existe un consensus au Québec quant à l’importance de ce dossier. Depuis 2018, le gouvernement a d’ailleurs mis en place des contenus obligatoires en éducation à la sexualité, ce qui est un avancement par rapport à quand moi j’étais à l’école, par exemple. Le problème est que, clairement, les écoles ont peu de ressources financières et les activités d’éducation à la sexualité sont perçues, avec raison, comme une tâche supplémentaire par le personnel enseignant. Cette perception est renforcée par le fait que l’éducation à la sexualité ne prend pas la forme d’un programme type comme pour les mathématiques ou le français. Le fait qu’elle puisse être intégrée selon différentes modalités, rend le tout plus complexe et variable, ce qui se traduit souvent par des activités superficielles, voire rien du tout. De plus, le caractère sensible, qu’il soit perçu ou réel, de plusieurs thèmes liés à la sexualité, fait en sorte que le personnel scolaire se sent rapidement stressé ou pas suffisamment formé pour se lancer. Depuis de nombreuses années, des initiatives comme la Coalition ÉduSex, dont le Club Sexu est membre, revendiquent l’importance de soutenir, de former et d’accompagner les écoles dans ce dossier afin de répondre au droit à l’éducation à la sexualité des jeunes.

Quels sont les pièges qu’entraîne Internet à être la principale source d’information des gens  et surtout des jeunes en quête de savoir sexologique?
Sara:
On porte souvent un jugement soit très enthousiaste ou très négatif à l’égard du rôle que peuvent jouer la technologie et l’Internet dans nos vies, notamment sexuelles. Cela dit, les jeunes ne partent pas nécessairement «en quête de savoir sexologique», le réflexe étant davantage de chercher sur Google lorsqu’une situation nouvelle ou complexe émerge. Évidemment, Internet et les téléphones dits intelligents ont changé le rapport aux sources d’information, aux communautés et à la pornographie. D’une part, il n’a jamais été aussi simple d’accéder à des sources crédibles, ainsi qu’à des communautés minorisées ou alternatives, ce qui est très positif, par exemple lorsqu’on est géographiquement isolé. D’autre part, il existe beaucoup de sources d’information non crédibles sur Internet, qui sont essentiellement guidées par des intérêts financiers et non par une mission sociale ou scientifique. L’accès à la pornographie commerciale et gratuite est particulièrement facile et, tout comme d’autres sources d’information dominantes, suppose l’omniprésence de certaines perspectives et mythes à l’égard de la sexualité.

Est-ce une des raisons pourquoi le Club Sexu a été créé?
Sara:
En effet, le Club Sexu souhaite créer des espaces d’information et d’échange sur la sexualité qui reposent sur une approche centrée sur l’avancement des connaissances scientifiques et des valeurs de plaisir, d’inclusion et de diversité. La place que nous souhaitons occuper est complémentaire aux sites gouvernementaux et scientifiques qui sont plus ou moins accessibles et adaptés aux réalités des jeunes adultes, mais également une alternative aux sites commerciaux — qu’il soit question de pornographie, de marketing d’influence ou de l’industrie culturelle grand public — en proposant des modèles érotiques et de plaisirs pluriels, réalistes, sans mettre de côté la science. 

Quels conseils aurais-tu à donner aux organisations qui souhaitent décomplexer la conversation à ce propos dans le milieu de travail?
Sara:
Lorsqu’on aborde un thème qui peut être considéré comme tabou ou sensible, il est d’abord important de réfléchir au contexte dans le cadre duquel on souhaite l’aborder. Malgré des intentions nobles, on peut parfois sous-estimer le temps nécessaire pour mettre en place un cadre adéquat, ainsi que pour déterminer un angle, un ton et un niveau de connaissances justes. Règle générale, il est souvent préférable de collaborer avec une expertise externe à l’organisation. C’est probablement ce qui fait en sorte que le Club Sexu connait un vif succès: bien que sensibilisée aux enjeux liés à l’éducation à la sexualité, notre équipe créative collabore systématiquement avec notre équipe scientifique qui a développé une expertise à l’égard du thème abordé, notamment des chercheuses en sexologie, en éducation et en santé publique et des sexologues, ou même des linguistes comme pour notre formation sur l'écriture inclusive. 

À travers les filtres qui déforment le réel, la diffusion de normes à double standard, et la culture du politically correct, comment trouver des modèles sexuels réalistes et diversifiés?
Sara:
Parmi les lignes de conduite que nous adoptons au sein du Club Sexu, je crois que le souci d’illustrer des réalités diverses AVEC les personnes concernées plutôt que de documenter des réalités d’un point de vue externe et détaché est très porteur. Cela pousse également à cultiver une posture d’humilité à l’égard de nos démarches et de nos projets, en gardant sincèrement la porte ouverte aux critiques. Le fait que la recherche soit omniprésente dans notre processus créatif aide certainement. Au cœur d’une démarche scientifique, il y a le doute et les hypothèses, cela suppose qu’on peut toujours se tromper, qu’on gagne à aller chercher la rétroaction, les données, les contre-arguments pour parfaire une vision des réalités qu’on souhaite comprendre et partager. 

Quelle est, dans tes propres mots, ta définition du bien-être?
Sara:
Si cela peut paraître cliché, je crois qu’il est aidant de comprendre le bien-être comme un processus plutôt qu’un état ou un objectif. Dans ce contexte, ça suppose que c’est en mouvement et que ça va au-delà de l’absence de problème, que ça fluctue, que ça s’améliore, que c’est en interaction avec ce qui nous habite et ce qui nous entoure. Cette perspective est aussi utile pour s’éloigner des discours de type self-help qui sous-estiment l’influence des conditions de vie et des contextes sur le bien-être, notamment sexuel, en surresponsabilisant l’individu. Pourtant, il suffit de réfléchir aux effets de la pandémie sur notre désir et nos activités sexuelles pour comprendre que le bien-être ne se vit pas en vase clos. ;) 

Pour en savoir plus sur les initiatives et les contenus du Club Sexu, visitez clubsexu.com.

Si vous souhaitez planifier des formations privées en entreprise sur l’écriture inclusive ou la communication emphatique, n’hésitez pas à entrer en contact auprès du Club via [email protected].


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