Les lendemains du fameux krach de 1929 à la Bourse de New York aux États-Unis se faisaient lourdement sentir jusqu’au Canada, plus particulièrement dans les régions rurales du Québec. Or, le secteur des pâtes et papiers représentait la première industrie au Québec et les exportations de bois étaient en chute libre. La crise économique frappait fort dans tous les foyers du Québec après l’euphorie des années 1920 qui suivaient la première Grande Guerre.
Encore une presse d’opinion
Les hebdomadaires des années 1930 ne sont pas encore entrés dans la «modernité» comme les quotidiens. Ils représentent fondamentalement une presse d’opinion qui voulait divertir, instruire et influencer contrairement à leurs grands frères des centres urbains pour qui la chasse aux nouvelles, même sensationnelles, gonflait les tirages et les tiroirs-caisses de leurs éditeurs. L’hebdomadaire d’une petite ville de province en 1932, composé seulement de trois feuilles recto verso, la plupart à grand format* (18 pouces et demi par 24), est le défenseur de la tradition canadienne-française en parfait accord avec les prêches de l’Église catholique. Sans rentabilité, isolé et client pauvre de la petite imprimerie jouxtant la place du marché locale, le journal rural essaie tant bien que mal de survivre dans les années précédant la Deuxième Guerre mondiale. Les annonces encadrées, encore rares, ne procurent qu’un revenu d’appoint. Seule, la vente à la copie ou à l’abonnement annuel assurait le minimum vital.
Le Québec des années 1930
Les difficultés économiques nées du krach de 1929 ont permis l’éclosion d’un renouveau national dans tous les secteurs de la société québécoise. En région, loin des grands centres, la vie est moins pénible au fur et à mesure que les années 1930 avancent. Les idées de contrôle des richesses naturelles, de solidarité économique par l’essor du mouvement coopératif personnifié par Alphonse Desjardins et la fameuse décentralisation économique préoccupent les «ruraux» et leurs maigres hebdos. Mais le réveil a sonné avec la naissance d’une association d’hebdomadaires en 1932.
Avec l’Union nationale de Maurice Duplessis en 1936, les «petites patries» rurales se développent au même rythme que leurs industries naissantes, manufacturières ou agricoles. Avec le soutien de l’Église catholique qui est encore de tous les débats, politiques ou non, le nouveau gouvernement de l’Union Nationale entre 1936 et 1940 fait la promotion de l’agriculture familiale, de la colonisation des terres neuves et bien sûr de la petite entreprise, privée ou coopérative.
Les éditeurs d’hebdos n’ont pas été étrangers à cet élan social et économique qui fait un peu oublier la pauvreté encore visible sur les «places du marché». L’imprimerie locale plus ou moins développée qui édite l’hebdomadaire de la région est elle-même une petite entreprise qui véhicule haut et fort le nouveau discours de la «décentralisation». Alors que les quotidiens s’étaient développés dans les grandes villes dès le début du siècle après la révolution industrielle, les hebdomadaires ruraux des années 1930 prennent conscience de leur force dans les petites villes de province avec l’industrialisation. De nouvelles entreprises s’installent dans toutes les régions du Québec créant de nouveaux emplois et nouveaux lecteurs d’hebdos qui, pour certains, ont été formés sur les bancs des écoles de rang.
Plus que des polémistes formés pour défendre les valeurs traditionnelles de la foi et de la langue, les éditeurs des années 1940 apprendront à devenir de véritables gens d’affaires capables d’entrer dans le monde des médias de masse canadiens.
La nouvelle presse hebdomadaire
On se souviendra des modestes huit à douze pages hebdomadaires de journal à potins des années 1930 et 1940. À part la chronique éditoriale non signée en première page et les courtes nouvelles mondaines des villages environnants, la presse hebdomadaire se contentait de reproduire feuilletons et sermons sur les bonnes mœurs traditionnelles. Pour deux sous la copie ou un dollar l’abonnement annuel, on ne pouvait pas demander à l’éditeur de la feuille semainière de rivaliser avec les grands quotidiens bien capitalisés et plus occupés à rédiger des nouvelles nationales et internationales, loin des goupillons des diocèses ruraux. En 1947, il faut encore plus divertir et éduquer qu’informer véritablement dans les hebdos. Mais déjà des jours meilleurs pointent avec les annonces nationales toujours plus nombreuses telles que le «bleu» à laver, les bières Black Horse et la White Cap, la Dow ou Brading, les poêles Coleman et les fameux «Frigidaire», les p’tites pilules Dodd’s, les sous-vêtements longs Penman’s pour hommes, l’électricité desservie par la puissante Shawinigan Water and Power, les belles autos Nash ou Desoto, le bon thé Salada et la nécessaire céréale All Bran sans compter la boisson favorite des Québécois durant le temps des Fêtes, le gros gin De Kuyper ou Melchers.
En 1950, les changements à la tenue de la plupart des journaux hebdomadaires sont étonnants. Le prix à la copie est maintenant de cinq sous, mais de nouvelles presses d’imprimerie appuyées par de nouvelles techniques de reproduction des photos offrent des journaux de 16 à 20 pages, de meilleure qualité et encore à grand format pour la plupart. Les éditeurs d’hebdos, voulant obtenir leur part de publicité nationale, doivent dorénavant mieux structurer leurs départements de distribution et d’administration. Les tirages sont maintenant certifiés par l’ABC (Audit Bureau of Circulation). Deux fois par année, des vérificateurs de l’ABC viennent hanter les éditeurs qui n’avaient pas bien comptabilisé les copies vendues et invendues. Les rapports de l’ABC sont la bible des agences de publicité de Montréal ou de Toronto avant de placer les publicités de leurs clients dans les médias du Canada. Les hebdos en sont maintenant bien conscients.
Le contenu éditorial des hebdos de province, encore surpondéré en nouvelles politiques partisanes et religieuses, s’étend maintenant pour certains sur deux cahiers de huit pages. Les photos mieux mises en évidence en première page sont plus fréquentes, mais on maintient un certain héritage du passé en ne manquant pas encore de souligner les anniversaires de naissance avec photo individuelle du député ou de l’évêque. Les élites locales, politiques ou ecclésiastiques, sont encore bien servies.
À la fin des années 1950, la presse hebdomadaire, qui commence à peine à sortir de son apostolat, est cependant loin de la présentation et du contenu ennuyeux des années 1930 et 1940. De gros titres coiffent déjà la manchette qu’un jeune rédacteur s’est évertué à rédiger sur une «Underwood Five» probablement achetée chez l’argentier de l’Union Nationale, le rusé Gérald Martineau. Les nouvelles sportives attirent visiblement les lecteurs si on se fie aux reportages maintenant en photos de la visite d’un joueur du Canadien de Montréal dans sa ville natale. L’Évêché n’est pas en reste avec ses années mariales et ses célébrations à la mémoire des Notre-Dame-de-Lourdes de toutes les régions du Québec.
À part les annonces nationales, lucratives, diversifiées, et toutes montées par les agences, l’annonce du détaillant local prenait progressivement le dessus, parfois en page pleine. De nouvelles chroniques, sportives, agricoles ou féminines se multiplient cependant avec le nombre toujours plus élevé de pages.
Avec la progression de l’annonce locale en appui à l’annonce nationale, sans compter l’arrivée des petites annonces placées par les lecteurs au téléphone ou directement au journal bien situé au centre-ville, les hebdomadaires commencent à ressembler à de véritables petites entreprises de presse régionales.
En 1971, 80% des hebdos sont à propriété unique et seulement une vingtaine au Québec appartiennent à six ou sept petits groupes de presse. Pendant que le nouveau groupe de presse Quebecor de Pierre Péladeau s’active face au géant Power Corporation de la famille de Paul Desmarais, les hebdos sont encore une histoire de famille locale, imprimeur et/ou éditeur bien engagé dans son milieu régional. En 1974, l’annonce-surprise de la vente des Échos abitibiens de Lucien Fontaine à Quebecor ouvre une brèche chez les hebdos.
Le mouvement de concentration est bien lancé. La «presse de province» est ébranlée.
À la fin des années 1970, Quebecor possède déjà huit hebdos régionaux en plus de ses huit hebdos nationaux, ses deux quotidiens de Montréal et de Québec et ses onze magazines en plus de ses imprimeries, ses ateliers de montage et son secteur de la distribution. Unimédia de Jacques Francoeur, avec ses deux quotidiens de Québec et de Chicoutimi et ses deux hebdos nationaux, possède les hebdos de Drummondville et de Chicoutimi en plus des « journaux métropolitains » dans l’est et au nord de Montréal en plus de Laval. La chasse aux hebdos et à leur marché en pleine croissance est ouverte.
L’arrivée des «gratuits»
Devant le déplacement graduel de la publicité locale vers les hebdos à distribution gratuite, les hebdos régionaux s’adaptent. De nouvelles publications naissent un peu partout au Québec, bien sûr à tirage gratuit devant le succès commercial du «total coverage». Les hebdos passent en moins de 20 ans d’une presse d’opinion politisée à faible tirage à une presse où le lecteur était devenu un lecteur-consommateur, friand de publicité dans un hebdo déposé à sa porte chaque semaine. Magasins à succursales et grandes chaînes alimentaires sonnent le glas de l’ensemble des hebdos payés en transférant leur publicité hebdomadaire aux hebdos gratuits qui se sont montés de véritables réseaux de distribution régionale.
Pendant que les Hebdos A-1 se battent pour vendre leurs beaux journaux à quelques milliers d’exemplaires sans dépasser les 50 à 60% de pénétration des marchés régionaux, les gratuits qui étaient fragiles à leurs débuts, grugent petit à petit les revenus publicitaires de la presse hebdomadaire. Un jour pas si lointain, en région, à Montréal ou à Québec, ils seront mieux présentés et mieux écrits en embauchant à leur tour des journalistes. Même avec l’avènement des hebdos gratuits à 65 puis à 70% de publicité pour rentabiliser une impression à fort volume et une distribution à toutes les portes, leur popularité en région ne se dément pas. La tendance vers les gratuits est toutefois incontournable et les grands groupes de presse se pressent au portillon des hebdos, maintenant plus rentables, mais encore indépendants en majorité. C’est à celui qui fondera un journal en région quitte à vendre aux gros groupes de presse!
Les tirages avec l’émergence des «gratuits» s’accroissent de 5% par année alors que 69% des informations des hebdos sont toujours régionales. Les hebdos du Québec en majorité sont désormais tabloïds et gratuits.
Brassage des groupes de presse
En 1989, le Groupe Télémédia de Philippe de Gaspé-Beaubien qui avait acheté des hebdos du Groupe Unimédia appartenant au célèbre Groupe Hollinger de Conrad Black fait une offensive contre Quebecor avec les Publications Dumont d’Henri Duhamel qui dépasse maintenant les frontières de l’île de Montréal. Ce fut un demi-succès. Au début des années 1990, Duhamel vendra ses 28 hebdos au groupe de radio et télévision Cogeco qui les revendra quelques années plus tard au groupe Transcontinental de Rémi Marcoux devenu entretemps éditeur.
Dans les années 1980, les groupes de presse prennent donc pied dans toutes les régions du Québec en avalant la nouvelle presse à distribution gratuite pour servir leurs lecteurs-consommateurs. Les hebdos du Québec n’ont toutefois plus de complexes, conscients de leur force financière nouvelle et solidifiés par l’apport des groupes de presse.
Jean-Paul Légaré de Rimouski, infatigable défenseur de la presse hebdomadaire à travers toute son évolution et ses révolutions, avait vu juste: «Dévoué aux intérêts d’une communauté restreinte, le journal hebdomadaire n’est plus considéré comme le petit frère du journal quotidien. En effet, l’hebdomadaire dans son champ d’action est souverain et il exerce une influence prépondérante et irremplaçable. Ce rôle irremplaçable de l’hebdomadaire a trouvé sa confirmation dans les régions où en dépit de l’apparition des sections régionales des grands quotidiens, les hebdos ont vu leur tirage et leur popularité augmenter. Nous avons donc la preuve que si l’hebdomadaire sait jouer pleinement son rôle, il pourra continuer longtemps à garder la sympathie de ses lecteurs.»
Et les années 2000 dans tout cela?
Aujourd’hui, les deux grands groupes de presse membres d’Hebdos Québec génèrent 74% du tirage tandis que les 26% restants demeurent entre les mains d’éditeurs indépendants.
Alors qu’en 1980 le tirage des hebdos s’élevait à 1 222 170 copies, on dénombre en 2011 au-delà de 5 218 000 copies par semaine! En trente ans, nous avons multiplié par quatre la taille d’une industrie qui ne cesse de grandir et qui ne montre pas de signes d’essoufflement, contrairement à ce que nous observons dans d’autres médias dits «traditionnels».
Les hebdos des années 2000 ont atteint la maturité qu’ils espéraient lors de la remise en question de leur mission dans les années 1980. La confiance dans l’avenir des hebdos régionaux ne s’est jamais démentie. Plus solide financièrement, mieux outillés pour faire face aux défis d’un nouveau siècle marqué par les nouvelles technologies de l’information, les hebdos du Québec et leur association, Hebdos Québec, occupent aujourd’hui la place qui leur est due dans le concert des médias au Canada.
Le succès de la presse hebdomadaire francophone du Québec repose sur cette volonté constante et à ce respect qui l’honore de demeurer proche et préoccupée, d’abord, des besoins de ses lecteurs locaux répartis dans toutes les localités du Québec. Malgré l’apparition des groupes de presse, l’industrie n’a jamais dérogé à ce principe qui constitue sa raison d’être.
*Ce texte est composé en partie d’extraits du livre Histoire de la presse hebdomadaire au Québec, publié par Hebdos Québec en 2008 et rédigé par Monsieur Jean-Pierre Malo.