L’intelligence artificielle (IA) est-elle une technologie réservée aux grandes entreprises? Plus maintenant. À en croire une enquête de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA) datant de septembre 2024, les mentalités évoluent au sein des entreprises québécoises.

En effet, l’enquête révèle que 57 % des entreprises sondées ont déjà implanté ou envisagent d’intégrer l’IA à leurs opérations, une montée assez impressionnante pour l’IA, qui ne convainquait que 36 % des entreprises en 2022. Force est d’admettre que cette progression rapide de la popularité de l’IA s’accompagne d’un changement de perception : de plus en plus de têtes dirigeantes reconnaissent son potentiel pour améliorer la productivité et la compétitivité, ou comme le dit si bien le vice-président exécutif et chef de la direction de Nurun, Eric Noël, «donner un super-pouvoir aux employé·es.» Or, même si on voit que le capital d’attraction de l’IA grandit et se répand, le manque de ressources, de temps et la méconnaissance des possibilités offertes par l’IA sont encore des freins persistants qui bloquent les PME à aller de l’avant.

À ce propos, Manon Poirier, directrice générale de l’Ordre, souligne l’urgence d’une meilleure sensibilisation : «L’accélération de son déploiement est une bonne nouvelle, mais il faut travailler à combler le manque de connaissances sur l’accessibilité et les bénéfices de ces technologies.» Ce constat illustre bien les défis et opportunités auxquels font face les PME en intégrant l’IA dans leurs processus. Alors… Par où commence-t-on?

Les PME et l’IA : une curiosité en plein essor
Malgré les barrières perçues, les données qui concernent spécifiquement les PME canadiennes montrent que l’intérêt pour l’IA est bien réel à l’échelle du pays. Une étude de Statistique Canada de 2024 révèle que 9,3 % des entreprises utilisent déjà l’IA générative, et 4,6 % prévoient de l’adopter prochainement. Ce chiffre, bien qu’encourageant, reste inférieur à celui des grandes entreprises, mais démontre une tendance en forte croissance. Ce sont les secteurs les plus avancés, comme l’information (20,9 %) ou les services professionnels (13,7 %), qui mettent le plus en lumière l’impact positif de l’IA. Ces observations sont aussi perçues dans de nombreux secteurs. Selon une étude mondiale menée par Zoom en août 2024, 84 % des dirigeant·es ayant intégré l’IA affirment que cette technologie a significativement amélioré la productivité de leur organisation. Toutefois, pour maximiser ces bénéfices, et surtout, avant de se lancer tête première, les PME doivent relever un défi fondamental: structurer leurs données, un point central évoqué par le chef de la direction de Nurun.

Pas d’IA sans data
Nurun
, une filiale de Publicis Groupe, est en première ligne de l’accompagnement des entreprises dans leur transformation numérique. Forte de 25 ans d’expérience, l’agence spécialisée dans la création de plateformes numériques et l’intégration d’outils d’IA voit l’évolution de l’intérêt envers l’IA d’un œil optimiste. Eric Noël constate une demande croissante des PME pour des solutions technologiques, mais aussi un manque de préparation face à leur adoption rapide.

Selon lui, cette transition technologique est comparable à l’adoption d’Internet, mais deux à trois fois plus rapide. Or, l’évolution de l’IA peut sembler difficile à cerner pour celles et ceux qui ne la côtoient pas depuis ses débuts. «Les PME ne sont malheureusement pas toujours bien armées pour répondre à cette demande, car elles sont dépassées par la vitesse d’adoption des outils d’IA, explique-t-il. Ce qu’on constate en parlant avec les entreprises intéressées par l’IA, c’est qu’un des défis majeurs concerne la gouvernance des données : leur structuration et leur sécurité sont essentielles pour tirer parti de l’IA. On doit commencer par là pour implanter des outils qui seront efficaces pour les besoins spécifiques de l’entreprise.» En effet, au cœur de l’adoption de l’IA se trouve la donnée. Une donnée mal structurée peut compromettre les efforts d’optimisation et limiter les gains de productivité. «Souvent, les PME découvrent que leurs bases de données sont un véritable capharnaüm : démembrées, éparpillées dans différents systèmes qui ne se parlent pas, observe Eric Noël. Cette fragmentation complique l’analyse et l’utilisation des données pour des projets d’IA. En fait, comme l’avantage de l’IA est d’optimiser les processus, les tâches et les liaisons entre systèmes, il faut donc absolument prendre les entreprises par la main et les aider à planifier l’implantation de l’IA avant même de l’implanter. C’est une étape cruciale qui rappelle tous les jours l’importance et la pertinence des agences comme Nurun spécialisées dans les transformations numériques.»

Le potentiel de l’IA en PME : dépasser les préjugés
Eric Noël identifie également des préjugés récurrents que lui et son équipe entendent et qui peuvent freiner l’adoption de l’IA. Certain·es dirigeant·es doutent encore de son efficacité, la considérant comme un simple buzz ou craignent des coûts élevés. Concernant ce dernier point, Eric Noël ne cache pas que l’implantation de l’IA peut être coûteuse pour certains clients. «Pour les entreprises qui sont vraiment “en retard”, disons-le comme ça, au niveau de la donnée, oui, ça peut coûter cher de rattraper tout le chemin pour être apte à utiliser les outils actuels. On en voit qui se sentent dépassés et qui ne savent juste pas par où commencer.» Pour celles et ceux qui ont le vertige quant à l’implantation de l’IA, le chef de la direction de Nurun indique avoir des solutions. «Pourtant, des projets ciblés, comme l’automatisation du service à la clientèle, peuvent offrir un excellent retour sur investissement, précise-t-il. Commencer par un petit projet, comme optimiser le service client avec des outils déjà prêts, est souvent la porte d’entrée idéale pour les PME.»

Une autre préoccupation souvent entendue par les équipes de Nurun concerne le remplacement de l’humain au détriment de la machine. «Est-ce que les textes vont être vérifiés par quelqu’un? Je ne peux pas parler pour toutes les agences, mais chez nous, explique Eric Noël, nous n’avons jamais eu l’intention de remplacer l’humain, mais plutôt de lui donner des super-pouvoirs. C’est comme ça qu’on approche l’intelligence artificielle et quand on l’explique à notre clientèle, alors on arrive à mieux faire comprendre le plein potentiel de l’adoption de l’IA dans leur entreprise.» Affirmant que l’IA est un outil de plus bénéfique pour les employé·es et non une menace à l’emploi, le directeur général de Nurun précise que toutes ces interrogations, qui sont légitimes, découlent encore une fois d’une grande méconnaissance des outils de l’IA. Elles indiquent aussi qu’il y a un travail d’éducation à faire en amont, mais que la curiosité est là, donc que la porte est ouverte.

PME et IA : une transformation technologique à taille humaine?
L’intelligence artificielle ouvre des portes inédites pour les PME, mais son adoption ne doit pas se faire au détriment de l’humain, rappelle Eric Noël. Si 64 % des employé·es reconnaissent que l’IA générative facilite leur travail selon l’étude menée par Zoom, les préoccupations demeurent, notamment chez les jeunes générations: 72% des 18-24 ans craignent que l’IA ne menace leur emploi, contre seulement 42% chez les 55 ans et plus. Ces écarts générationnels montrent à nouveau à quel point il est crucial de bien accompagner les équipes dans cette transition.

Alors, PME et IA font-elles bon ménage? La réponse est oui, mais elle ne s’arrête pas là. Étant un phénomène encore nouveau, et comme on l’a vu tout au long de l’article, encore méconnu auprès des PME et du public en général, l’IA a du chemin à faire pour s’intégrer en entreprise. En discutant avec Eric Noël, force est d’admettre que les agences ont un rôle clé à jouer dans la démocratisation de l’IA au sein des PME: éduquer, former, rassurer et accompagner. «J’aime toujours prendre exemple sur nous et notre culture d’entreprise. Chez Publicis Groupe, ça fait déjà presque 5 ans qu'on investit massivement des millions, voire des centaines de millions de dollars, dans l'utilisation de différents outils de l’IA. Et nous donnons à l'ensemble de nos employé·es à travers le monde accès à ces outils pour justement être les meilleures équipes pour conseiller et accompagner nos client·es.» Pas de cordonnier mal chaussé, donc, aux yeux de l’entreprise, qui compte près de 108 000 employé·es à travers le monde. Ce faisant, l’implantation de l’IA en entreprise a encore de nombreux défis devant elle, mais elle doit d’abord passer par une communication claire sur le potentiel de l’IA et par des initiatives concrètes pour montrer qu’elle n’est pas là pour remplacer, mais pour enrichir. En levant les freins et en misant sur des projets ciblés, les PME peuvent non seulement percevoir comment l’IA a le pouvoir d’augmenter leur productivité – avec des gains estimés à 40% dans certains cas – mais aussi comment elle peut créer un environnement de travail où la technologie devient un outil de collaboration et non une source de stress.

Comme le souligne Eric Noël, «C’est en misant sur cette alliance entre humain et technologie que les PME pourront relever les défis de demain tout en restant compétitives et agiles. En somme, l’IA n’est pas une finalité, mais bien un levier pour un avenir plus innovant, plus inclusif et plus prometteur.»
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En photo: Eric Noël