En juillet 1999, la chaîne télévisée américaine ABC ouvrait l’un de ses bulletins de 18 h avec une nouvelle plutôt inusitée : une firme de design avait réinventé, en 5 jours seulement, le mythique chariot d’épicerie.

design thinking

Non seulement la firme en question avait relevé ce défi, mais elle avait permis à un journaliste de suivre l’ensemble du processus de création. Le nouveau modèle de chariot réinventait carrément l’expérience d’achat en supermarché. L’histoire a eu de nombreux échos à travers le pays et le segment télévisé a été repris mainte fois dans les mois qui ont suivi. Mais qu’est-ce que les dirigeants de cette firme de design souhaitaient mettre en lumière en se prêtant à un tel exercice ? Démontrer avec éclat que l’innovation pouvait être structurée et méthodologique, et ce, en tenant compte d’enjeux de design considérables.

Portant le nom d’IDEO, cette firme de design est aujourd’hui l’une des plus importantes dans le monde. On lui doit notamment plusieurs innovations, telles que la souris d’ordinateur Apple ou la brosse à dents pour enfant, en passant par un appareil médical sophistiqué pour le pontage cardiaque. Mais cette firme est surtout l’investigatrice d’une méthodologie particulièrement à la mode par les temps qui courent : le Design Thinking. 

Bien que le Design Thinking ait fait l’objet d’écrits dans les années 80, ce topo d’ABC a vraiment permis d’éveiller l’intérêt pour ce concept. Quelques années plus tard, en 2008, Tim Brown, président d’IDEO, a publié à ce sujet un article phare dans le Harvard Business Review. Selon Brown, le Design Thinking se traduit très simplement : observez vos clients, soyez innovant pour répondre à leurs besoins, et placez-les au cœur de votre processus itératif. 

De 2008 à ce jour, de nombreuses organisations, penseurs et académiciens se sont penchés sur le Design Thinking pour le comprendre, l’étudier et le documenter. Des entreprises ont emboîté le pas, adoptant une approche beaucoup plus axée sur le « customer-driven », et des firmes de consultation ont changé leur façon de faire. La preuve de cet engouement ? L’entreprise américaine Gartner plaçait le Design Thinking au premier rang des « soft skills » recherchées chez les dirigeants d’entreprise entre 2015 et 2018, devançant l’habileté de la « pensée stratégique ».

La dernière décennie aura donc démontré un fait indéniable : le Design Thinking ne s’applique pas uniquement au design, comme son nom le laisse entendre. Puisque tout peut être « designer », la méthodologie peut s’appliquer pour repenser l’ergonomie d’un bâtiment, le modèle d’affaires d’une organisation, le parcours de traitement d’un patient ou encore, la stratégie d’une organisation politique. Si l’enjeu est complexe, le Design Thinking est l’avenue idéale pour le résoudre. 

Malgré le fait que le terme soit quelque peu galvaudé, cette méthodologie est encore aux balbutiements de sa courbe d’adoption. Des firmes, comme Poudre Noire, développent des processus pour amener le Design Thinking dans la transformation des organisations, la planification stratégique et le développement applicatif. Et bien que de nombreuses organisations comprennent son fonctionnement, peu l’appliquent.

Alors, qu’en est-il du Design Thinking en 2019 ? Peut-être savez-vous qu’il permet de libérer la créativité, d’engager les équipes, de limiter le biais humain. Ou encore, qu’il faille analyser, créer et tester sans relâche. Mais concrètement, quels comportements une organisation doit-elle adopter préalablement pour rendre le Design Thinking possible ?

Au cours des deux dernières années, j’ai mené plus de 150 ateliers et accompagné de nombreux partenaires dans leur « boucle d’innovation ». J’ai appliqué le Design Thinking à des modèles d’affaires, de nouveaux produits, la conception de logiciels, des plans de communication, et même, pour déterminer les valeurs d’une marque employeur.

VOICI DONC LES GRANDS CONCEPTS QUE J’AI RETENUS :

  1. Vous n’avez pas les réponses – La première chose est de reconnaître, surtout en tant que membre de l’exécutif de votre organisation dans une structure traditionnelle, que vous n’êtes pas le mieux placé pour innover et amener de nouvelles idées. Ce n’est pas de votre faute, vous êtes simplement trop loin de vos clients, en raison de vos fonctions dans l’organisation. Et force est d’admettre que malgré tous les tableaux de données que vous avez sur vos consommateurs, vous n’avez pas été dans leurs souliers depuis un bon moment.
     
  2. Chercher l’idée là où vous l’attendez le moins — Cela insinue que les idées qui guideront votre prochaine optimisation ou innovation doivent venir d’ailleurs dans l’organisation. À quand remonte votre dernière discussion avec votre équipe de vente, de logistique, de RH ? Les gens davantage à proximité de l’exécution que de l’idéation ont souvent des idées incroyables, qui ne demandent qu’à être restructurées ou peaufinées. Lorsque mes clients me demandent qui devrait prendre part aux ateliers au sein de leur équipe, je réponds toujours : « vous avez un stagiaire ? Invitez-le ! ». Ils finissent invariablement par être surpris de ce qui en ressort.
     
  3. Le plus hétérogène sera le mieux – Si vous assoyez votre équipe de finance autour d’une table pour un atelier, de quoi vont-ils discuter ? Des contraintes financières de votre organisation. Si vous souhaitez tirer le maximum du Design Thinking et que vous voulez permettre à vos équipes de réellement innover, plus votre groupe de discussion sera hétérogène, plus riche sera l’échange ! À chaque séance que j’anime, il y a toujours un moment de magie dans la première demi-heure : tranquillement, chaque intervenant réalise que ses contraintes ne reflètent pas les contraintes de ses collègues des autres départements. C’est à ce moment qu’ils changent de perspective et que débutent les discussions qui construisent de réelles opportunités pour l’organisation.
     
  4. Tout commence par une hypothèse — Tous mes ateliers commencent par cette règle d’or : « nous sommes ici pour discuter de vos hypothèses. Nous validerons les faits par la suite ». Par le fait même, moins les participants sont préparés, mieux l’atelier se déroulera. Pour l’avoir testé à de nombreuses reprises, à partir du moment qu’un participant sort des chiffres d’un tableur Excel, les discussions se focalisent abruptement sur les contraintes de l’entreprise. Dans un atelier de Design Thinking, il est primordial de laisser les gens discuter sans contraintes, puisque le succès de l’initiative en dépend. Même lorsque l’hypothèse semble des plus farfelue, cela permettra peut-être à d’autres collègues de faire un bout de chemin et d’arriver avec l’idée qui changera la donne.
     
  5. Consultant Facilitateur – Les consultants ont leurs raisons d’être. Cela dit, en Design Thinking, vous avez besoin d’un facilitateur, soit quelqu’un à l’extérieur de votre organisation dont la spécialité est de poser les bonnes questions, et non de donner les bonnes réponses. Le consultant arrivera plus tard dans le processus, et pour le moment, ce sont les membres de votre équipe qui prendront ce rôle. L’expert en Design Thinking doit faciliter vos échanges.

--

Articles de références :
Design Thinking – Tim Brown/HBR, 2008
Why Design Thinking Works – Jeanne Liedtka/HBR, 2018