Au milieu des années 80, la pétrolière américaine Chevron a lancé une campagne d’envergure intitulée People Do afin de convaincre le public de ses B.A. environnementales. À coups d’images de papillons, de tortues et d’oursons, mais surtout à coups de millions de dollars, l’entreprise a nourri l’illusion de son écoresponsabilité, alors qu’elle violait le Clean Air Act et le Clean Water Act en plus d’être coupable de fuites de pétrole dans des refuges fauniques.
Plus récemment, H&M a lancé sa gamme de vêtements Conscious faits «dans le respect de la planète», accompagnée d’un système de points du même nom qui pousse à faire encore plus d’achats, allant complètement à l’encontre de la lutte contre la mode rapide. Il y a aussi Keurig Canada qui s’est vu imposer une amende de 3,8 millions de dollars par le Bureau de la concurrence du Canada pour des déclarations à propos de la recyclabilité de ses capsules à usage unique.
Ces cas sont des exemples flagrants d’écoblanchiment parmi un océan d’allégations environnementales insidieuses. En effet, l’écoblanchiment est désormais si répandu qu’une étude réalisée en 2022 par l’International Consumer Protection and Enforcement Network a révélé que 40 % des marques utilisaient des prétentions écologiques trompeuses, confuses et même parfois illégales sur leur site web.

Qu’est-ce que l’écoblanchiment?
Le Centre québécois du droit de l’environnement définit l’écoblanchiment (en anglais, «greenwashing», un terme qui existe depuis les années 1980) comme étant «les stratégies de marketing où des renseignements faux ou trompeurs sont communiqués pour faire croire qu’une activité ou un produit sont plus respectueux de l’environnement qu’ils ne le sont en réalité».
Caroline Larocque, chargée de projets, développement durable et communications au Réseau des femmes en environnement, ajoute à cette définition que l’écoblanchiment peut également prendre la forme de «messages incitant à des comportements contraires à ceux qui sont suggérés dans la transition socioécologique». Par exemple, un message qui, pour promouvoir un modèle de voiture, discréditerait le transport en commun.
Chez Masse critique, organisme à but non lucratif ayant pour objectif de provoquer la transformation durable et responsable de l'industrie des communications, on répertorie huit types d’écoblanchiment: le vrai mensonge, la promesse disproportionnée, les informations ou preuves insuffisantes, les mots vagues, le faux label, le hors sujet, la fausse exclusivité et les images suggestives (comme un VUS campé en pleine nature). Valérie Vedrines, fondatrice de l’OBNL, cite notamment les formules comme «Contribue à la protection de l’environnement», «Consommation durable» ou encore «Bon pour la planète» ainsi que les comparaisons de produits ou services avec des éléments de la nature et les cadres naturels (on pense au classique VUS campé dans une forêt luxuriante) parmi les représentations les plus courantes de l’écoblanchiment.
Les conséquences de l’écoblanchiment
En réalité, très rares sont les entreprises qui connaissent le même sort juridique que Keurig chez nous, et ce, même si l’écoblanchiment y est bel et bien illégal. C’est que contrairement à l’Europe, le Canada et le Québec tardent à mettre en place une législation claire pour encadrer les déclarations environnementales; un décalage qui a eu pour répercussion d’accentuer le cynisme au sein de la population dans les dernières années. En effet, une étude de Deloitte publiée en 2023 révèle que bien que 93 % des consommateur·rices canadien·nes soient prêt·es à récompenser les entreprises qui mettent en marché des produits écoresponsables, 49 % sont sceptiques quant à l’authenticité de leurs revendications de durabilité.
«L’absence de cadre juridique clair a créé un environnement confus dans lequel les gens ne savent plus comment faire les bons choix, explique Valérie Vedrines. Au niveau macro, cela diminue la crédibilité des actions environnementales, allant jusqu’à provoquer l’inaction climatique. On se dit qu’on ne sait plus quoi faire, alors on ne fait plus rien.»
Abondant dans le même sens, Caroline Larocque affirme que «les principaux risques de l’écoblanchiment pour les marques sont l’atteinte à la réputation, la perte de partenaires financiers et la perte de confiance des consommateurs», des conséquences qui, même en l’absence de sanctions légales, peuvent grandement nuire au rendement d’une entreprise.

L’éducation: le remède contre l’écoblanchiment
Que peuvent donc faire les entreprises pour éviter de tomber dans le piège? D’abord, une prise de conscience s’impose. Selon les deux expertes interviewées, l’écoblanchiment se fait le plus souvent de façon involontaire, sans intentions malveillantes, par manque de connaissance des enjeux environnementaux ou des principes de la communication responsable. Au Québec, plus de 80 % des gens croient que les entreprises devraient en faire plus pour l’environnement – pas étonnant que ces dernières fassent miroiter au public leurs moindres gestes écoresponsables.
«En marketing, on a tellement l’habitude d’être le miroir grossissant des petits éléments distinctifs des produits ou des marques. On a de mauvais plis qu’il faut changer, explique Valérie Vedrines. Notre rôle n’est plus autant de mettre de l’avant les points de différenciation, mais de faire preuve d’un maximum d’honnêteté, de transparence et même de vulnérabilité.»
C’est pourquoi, selon la fondatrice de Masse Critique, la première étape pour les entreprises qui souhaitent entreprendre une démarche écoresponsable sincère est l’éducation. Masse critique offre d’ailleurs un programme varié de formations et de conférences sur le marketing durable, la communication responsable, l’écoblanchiment et la responsabilité sociale des entreprises. Elle met également à disposition de ses membres des services comme la validation éthique de contenu publicitaire.
Afin de redresser la situation, il est fondamental que les entreprises et agences s’entourent d’expert·es dans le domaine et forment leurs équipes sur les enjeux environnementaux et les principes de la communication responsable, soutient également Caroline Larocque. «C’est en travaillant ensemble que nous pousserons la réflexion et le mouvement plus loin.» L’experte propose elle aussi des formations et conférences sur le sujet, notamment au Grenier, afin d’accompagner les organisations dans l’élaboration de stratégies permettant de mieux véhiculer leur démarche et leurs impact environnementaux.
«Les entreprises ont un pouvoir immense: celui de mettre de l’avant des récits qui contribuent réellement à la transition socioécologique», conclut-elle.
Et qui dans les entreprises sont responsables de raconter ces récits ? Vous, chers spécialistes du marketing et des communications.
Les principes de la communication responsable
- Agir avant de communiquer
- Communiquer sur ce qui est important
- Communiquer des preuves
- Éviter les déclarations vagues
- Faire preuve de transparence et mettre de l’avant la progression
Sources
https ://www.theguardian.com/sustainable-business/2016/aug/20/greenwashing-environmentalism-lies-companies
https ://www.canada.ca/fr/bureau-concurrence/nouvelles/2022/01/keurig-canada-paiera-une-sanction-de-3millions-de-dollars-pour-repondre-aux-preoccupations-du-bureau-de-la-concurrence-concernant-les-indications-s.html
https ://www.business-humanrights.org/en/latest-news/global-report-finds-that-40-of-companies-make-misleading-environmental-claims/
https ://cqde.org/fr/sinformer-nouvelle/lecoblanchiment-cest-quoi/
https ://www2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/ca/Documents/consumer-industrial-products/ca-en-consumer-creating-value-from-sustainable-products-aoda.pdf ?icid=en-hero
https ://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1505444/environnement-sondage-changements-climatiques-barometre-actions-universite-laval