Les rapports affluent dans toutes les directions et signalent qu’il y a un problème majeur dans le monde de l’emploi au Canada, mais plus particulièrement au Québec. Postes vacants et taux de chômage records se conjuguent ainsi pour rendre la vie dure aux entreprises québécoises.
Postes vacants et critères à la baisse
Le récent rapport de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante a démontré que 67 % des PME québécoises vivent des problèmes de main-d’œuvre et que 26 % d’entre elles ont dû refuser des ventes ou des contrats à cause de ces problèmes. Au Québec seulement, on dénombre plus de 180 000 postes vacants, soit une augmentation significative de 14,4 % par rapport à l’année 2020. Le Conseil du patronat du Québec a relevé que 94 % des entreprises disent avoir de la difficulté à embaucher du personnel. « Les postes vacants forcent les entrepreneurs à chercher des employés et certains vont même jusqu’à se plier aux demandes absurdes des candidats », souligne Philippe Jacques, Président et Stratège en chef de Solocom, qui constate quant à lui que le problème dure depuis plus de cinq ans dans son domaine.
Philippe Jacques | Président et Stratège en chef de Solocom
Selon monsieur Jacques, la pénurie affecte le monde du travail en profondeur : « Quand on trouve le bon candidat, alors on fait face à des demandes surprenantes. La liberté, les salaires déraisonnables, les horaires incompatibles avec le service, mais aussi les semaines écourtées font partie des choses que les bons candidats demandent. » De son côté, Camille Morin-L’Heureux, Directrice des ressources humaines chez Synagri, ajoute avec une pointe d’ironie : « Dans certains secteurs, le candidat peut avoir un bras en moins, peut avoir un cv très ordinaire ou peut être complètement incompétent et avoir de très bonnes chances de décrocher un emploi ».
La compétence : un enjeu de taille
« Ce que je remarque beaucoup dans mon milieu, c’est une tendance à vouloir mettre de l’avant des compétences qui sont loin d’être maîtrisées chez les candidats. » Philippe Jacques constate à ce propos que les questions de compétence sont tristement délaissées au profit des postes à combler : « On nous dit, surtout dans le secteur numérique, que l’on connaît les logiciels et les technologies et la seconde d’après, on remarque que ces connaissances ne sont pas à jour et qu’elles ne sont pas si maîtrisées que ça. »
Cette question de compétence sous-tend celle de la formation continue, chose qui devrait apparaître dans les pistes de solution face au problème de pénurie de main-d’œuvre, nous rapporte monsieur Jacques : « La solution vient des entreprises. Les compétences devraient venir d’elle puisqu’elles bonifient leur marque entreprise, mais elles se diffusent grâce à leurs employés. J’ai l’impression que les entrepreneurs doivent considérer la marque employé et se poser de sérieuses questions : devrait-on investir davantage dans la formation ? Devrait-on soutenir et élever les compétences de tout un chacun ? Le monde et surtout l’industrie bougent très vite. Il ne faut pas s’endormir et surtout, il ne faut pas perdre de vue le progrès et les changements. »
Les responsabilités du gouvernement
Philippe Jacques affirme que le gouvernement doit revoir l’aide qu’il verse aux chômeurs : « La Prestation canadienne de relance économique (PCRE) doit être interrompue aux bénéfices des diverses entreprises qui sont à la recherche d’employés. On doit encourager les gens à retourner au travail. Le premier coup de main pour les PME devrait venir du gouvernement. C’est un facteur important en ce moment qui explique en partie le taux si élevé de chômage ». En effet, le président de Solocom n’a pas tort à ce sujet. Selon Karl Blackburn, président et chef de la direction du Conseil du patronat du Québec (CPQ), il faut regarder de plus près la PCRE pour en « restreindre l’accessibilité (et) pour encourager le retour au travail ». Il s’agirait là d’une première solution à la crise actuelle, mais ce n’est pas la seule.
La solution au cœur des entreprises
Camille Morin-L’Heureux admet également que la solution ne vient pas majoritairement du gouvernement : « On nous dit qu’il y aura de la création d’emplois et nous, on frissonne à l’idée d’entendre ces mots. La situation des CPE en est un excellent exemple. On veut créer des établissements avec des postes vacants. Ça ressemble à un dialogue de sourds parce que l’enjeu premier, ce n’est pas de créer des emplois, c’est de combler des postes. D’un côté, le gouvernement propose d’augmenter les montants versés aux entreprises, de l’autre, on constate que d’augmenter les structures salariales ne change pas grand-chose pour le moment. Quand il n’y a personne qui postule à ton offre, il n’y a personne, point. L’argent ne change pas la situation. »
À la suite de plusieurs études, le CPQ a proposé une série de solutions qui pourraient venir en aide à la crise de pénurie de main-d’œuvre. L’élément constant ? L’entreprise. « L’heure est au changement », avise sagement Philippe Jacques qui suggère que les entreprises revoient leur mode de fonctionnement. Suivant ce constat, le CPQ suggère que les entrepreneurs investissent davantage dans les technologies et qu’ils revoient leur structure afin de repenser tout le processus de productivité. Plus encore, le CPQ va jusqu’à proposer aux entreprises d’intégrer des programmes de formation au sein même de leur organisation. « La formation, ça passe beaucoup par le mentorship et cette notion devrait davantage être mise de l’avant. »
Vieillissement de la population
Un des facteurs les plus importants de la pénurie de main-d’œuvre concerne le vieillissement de la population. Les chiffres à ce sujet ne manquent pas de donner le vertige. En effet, selon les prédictions de Retraite Québec, « le Québec comptera une personne retraitée de plus toutes les huit minutes d’ici 2025. Il s’agit de plus de 850 000 travailleurs qui feront la transition vers la retraite. »
« Et si on proposait quelque chose d’intéressant aux employés expérimentés ?, ajoute M. Jacques. On verrait alors une transition plus saine et, surtout, on ne s’inquiéterait pas pour la passation des connaissances et la formation des nouveaux employés. » Camille Morin-L’Heureux renchérit : « L’an prochain, nous avons deux représentants qui prennent leur retraite. Chacun d’entre eux a plus d’une centaine de clients. On se prépare à les remplacer et on réalise qu’il faut six employés pour prendre la relève de ces deux excellents séniors. Il faut comprendre que leur départ va nous faire très mal, au plan financièrement oui, mais aussi en matière de compétences ».
L’opinion de madame Morin-L’Heureux et de monsieur Jacques se joignent au rapport du CPQ, qui propose « d’encourager fiscalement ceux et celles qui veulent demeurer à l’emploi. » Il semble que les solutions soient sous nos yeux, admet Karl Blackburn, qui invite les entreprises et le gouvernement à retenir les travailleurs expérimentés, à accélérer le virage de la diversité, et de revoir les seuils d’immigration.