Les émojis, ces petits symboles aujourd’hui omniprésents sur les médias sociaux et largement utilisés dans les différentes communications numériques, font office de vocabulaire, à la fois personnalisable et en constant mouvement. Assurément adoptés par les jeunes, parfois boudés par les plus vieux, les émojis sont les représentants visuels des différences culturelles et intergénérationnelles qui ponctuent l’univers web. Nellie Brière, chroniqueuse techno à Radio-Canada et conférencière et consultante en communications numériques et réseaux sociaux, nous éclaire sur la question.

Nellie Brière
Nellie Brière, chroniqueuse techno à Radio-Canada et conférencière et consultante en communications numériques et réseaux sociaux, nous éclaire sur la question.

Utilisés pour exprimer une émotion, pour blaguer, pour appuyer un propos ou pour tout simplement remplacer un mot, les émojis sont utilisés à toutes les sauces, et surtout, à la saveur de chacun. Alors que certains, popularisés à grande échelle, sont devenus universels, d’autres sont plus particulièrement affectionnés par certains groupes d’âges ou groupes culturels. Mais, peut-on qualifier ces symboles numériques de langage à proprement parler ? Ce qui est certain, c’est que tous ces émojis n’auront jamais qu’une seule et unique signification.

« Avec le numérique, il y a moins de standards. On ne peut pas dire, par exemple, les baby-boomers utilisent tel émoji, alors que les milléniaux ne les utilisent pas ou pas de la même manière. La signification et les tendances autour des émojis sont très triviales. Dans différents regroupements, ou même carrément des régions, des écoles secondaires, ou des gangs d’ados, il va y avoir différents langages. Pour certains, ça sera beaucoup les émojis, et d’autres vont utiliser davantage les memes ou les gifs », explique Nellie Brière.

La sémantique de l’émotion

La spécialiste affirme également que si on pouvait apposer un rôle plus défini à l’émoji, il s’agirait de celui de transmetteur d’émotions. Bonhomme qui pleure de rire, s’inquiète, embrasse, est en colère, aujourd’hui, il y a pratiquement un émoji pour tous les sentiments et les émotion ressentis par l’utilisateur, dans un univers web assurément plus impersonnel que la vie en chair et en os. Selon un classement réalisé en avril 2020 par le site Emojipedia, les émojis qui pleurent et qui pleurent de joie seraient les plus utilisés.

Alors que s’installait la pandémie mondiale, certains émojis se sont hissés en tête du palmarès de popularité, devenant porteurs d’un sentiment que l’on voulait universel, sans frontière : la solidarité. Jusqu’alors représentatif pour plusieurs de la communauté homosexuelle, l’arc-en-ciel est aujourd’hui devenu le symbole du mouvement « Ça va bien aller », déferlant dans une multitude de post sur les médias sociaux. Jusqu’alors peu utilisé par la majorité, l’émoji « masqué » est, de nos jours, partout.

Plus récemment, l’émoji du doigt d’honneur, utilisé au Québec par des restaurateurs mécontents face à la prolongation de la fermeture des salles à manger et par l’inaction du gouvernement en matière de subventions, est représentatif d’un ras-le-bol flagrant de l’industrie, quoi que moins « impoli » que les mots qu’il image…  

Ces exemples permettent de réaliser que tout comme nous, les émojis et leurs différentes utilisations s’adaptent aux événements qui ponctuent notre monde et nos sociétés, adoptant un sens et un autre, suivant le rythme imprévisible des tendances tout comme des combats.

Un choix de génération

Chose certaine, les émojis ne revêtissent pas non plus le même sens selon les différentes générations qui les utilisent. Pensons notamment aux émojis de la pêche ou de l’aubergine qui, pour les plus jeunes, détiennent souvent une connotation sexuelle. Pour les générations qui les précèdent, il s’agit tout seulement d’un fruit et d’un légume!

« Ce sont des codes qu’on donne aux émojis, qui sont plus largement connus par certaines générations. D’autres sont plus spécifiques à certaines « tribues », si on peut les appeler ainsi. Si on s’adresse à une clientèle nichée, par exemple des plus vieux ou des plus intellectuels, ils vont avoir tendance à être très rebutés par les émojis, qui peuvent être parfois vus comme la conséquence d’un manque de vocabulaire », explique la spécialiste des médias sociaux.

Attirer l’attention de sa cible

D’un point de vue marketing, les marques doivent-elles adopter les émojis dans leur stratégie de communication? Selon Nellie Brière, ces derniers peuvent être utilisés pour capter l’œil, ou en tant qu’élément graphique qui annonce un sujet ou encadre un texte. Dans un contexte où le temps d’attention des internautes est caractérisé par plusieurs experts comment étant court, les émojis permettent également aux entreprises d’accrocher leur cible qui elle, doit au préalable être bien définie pour que l’utilisation des émojis soit ainsi légitime et justifié. On pense notamment à l’émoji éclair pour annoncer une nouveauté, ou celui du feu pour imager un bon coup.

« Dans un contexte de médias sociaux ou beaucoup de textes et de publications sont en compétition, ça peut être une tactique intéressante, oui, mais rien n’est absolu, précise Nellie Brière. Tu utilises l’émoji quand tu veux te rapprocher du langage parlé, de la rue, du « slang », par exemple. Ce n’est pas à utiliser dans toutes les circonstances. Les tactiques dépendent de la cible et du public. Pour les créateurs de contenu, ça sera un détail dans la ligne éditoriale. Ils visent leur persona, et détermineront ensuite un champ lexical de vocabulaire, où les émojis peuvent être présents. »

Chose certaine, les émojis peuvent servir à humaniser une marque en permettant à celle-ci de se rapprocher de son public, tout en s’éloignant d’une dimension plus corporative ou rigide. C’est notamment le cas d’Hydro-Québec qui, par l’entremise de ses gestionnaires de communautés, répondent aux commentaires en ligne en utilisant des émojis, un moyen de mettre de l’avant « les personnes » dernière l’image de marque.

Pour conclure, les émojis sont-ils là pour rester? Ou vont-ils plutôt disparaître pour laisser la place à d’autres formes de communications web ?

« Les émojis vont toujours un peu servir parce qu’ils sont vraiment entrés dans l’usage. Ils sont, sans un sens, une forme de langage informel. Le « Lol » est devenu out, par exemple, et on a cessé de l’utiliser, puis il est ensuite revenu à la mode. Il faut surtout s’adapter aux tendances et aux utilisations. Mais je ne pense pas que ça va disparaitre, les émojis ne deviendront pas in ou out, ils vont plutôt bouger, comme les expressions », croit Nellie Brière.

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