Se catapulter en mode « e-tinérance » n’est pas une mince affaire et pourtant, plusieurs travailleurs ont fui la vie de bureau pour se destiner à une vie de freelancer à coup de hashtags #viedepigiste #digitalnomad #remoteyear sur les réseaux sociaux dans un climat plus indulgent. Derrière les photos idylliques depuis une plage à Chiang Mai, dans un café à Pigneto, et un espace de co-working à Budapest, est-ce que tout est vraiment rehaussé de rose pour ceux qui échafaudent leur travail autour d’une vie de globe-trotteur ?

Nomad Junkies
Crédit photo : Nomad Junkies

Conjuguer travail et voyage

Néologisme qui désigne les personnes qui choisissent d’utiliser les technologies sans fil pour travailler ailleurs et à distance, le digital nomad, muni d’un ordinateur portable et autres bidules technologiques, peut travailler de n’importe quel endroit au gré de la connexion Wi-Fi. Exit donc, la routine métro-boulot-dodo. « Géographiquement libre » ? Certes. Mais il faut savoir composer avec les différents fuseaux horaires, gérer le stress, savourer la solitude, trouver un équilibre et, ultimement, apprendre à déconnecter. Car comme me révèle Safia Dodard, co-fondatrice de Nomad Junkies, « il est facile de travailler la minute dès que tu lèves jusqu’au coucher. Mais tu ne veux pas développer cette habitude-là ».

Après avoir visité les quatre coins du globe en cinq ans, les co-fondatrices de Nomad Junkies, Safia et Émilie Robichaud, sont de retour au Canada — mais toujours sur la route. Stationnées entre Rivière-du-Loup et Mont-Joli aux abords d’une station-service, elles prennent le temps de causer sur les hauts et les bas du nomadisme numérique avec moi. Ne voulant pas attendre à la retraite pour voyager, et ayant la piqûre du voyage, elles en ont fait leur mode de vie. Au fil des années, les deux ex-publicitaires ont bâti leur plateforme pour la gérer à plein temps, et ce, tout en étant sur des continents différents !   

Nomad Junkies
Safia Dodard et Émilie Robichaud, co-fondatrices de Nomad Junkies

Pour les deux jeunes femmes, il s’agit d’un choix personnel. « C’est un mode de vie qui nous permet d’être constamment en voyage et qui répond à notre curiosité de découvrir une nouvelle culture et s’immerger. On n’est pas juste des touristes : on le reste toujours en partie, mais on va rester plus longtemps dans un endroit en adoptant le slow travel », déclare Émilie. « Oui, on travaille nos 40 heures par semaine, mais ça nous permet d’être en vacances et au travail partout où on est », enchaîne Safia.

De son côté, Gabrielle Rousseau, directrice des produits numériques et du data chez Attraction, a été une digital nomad pendant un an, alors qu’elle était gestionnaire des performances numériques au sein de la même entreprise. Elle cultivait l’idée de voyager et de s’établir à l’étranger depuis quelques années déjà, et le programme Remote Year arrivait à point. Gabrielle souligne que l’un des plus gros avantages était de pouvoir voyager intensivement sans devoir prendre congé de son boulot et de s’assurer d’avoir une source de revenus stable. « Faire des expériences et voir des choses inoubliables n’est pas à négliger non plus », appuie-t-elle.  

Gabrielle Rousseau
Gabrielle Rousseau, directrice, produits et data, Attraction Média

Marie-Ève Drolet, elle, se dit digital nomad parce qu’elle est à l’étranger depuis 3 ans : elle habite maintenant dans un petit village sur la côte Pacifique, Popoyo, au Nicaragua, et 90 % de la clientèle de son entreprise, Drolette du Nicaragua, provient du Québec. Consultante en stratégie web, elle enseigne également à distance pour le Cégep de Trois-Rivières. Le gros plus d’être une nomade numérique selon elle ? « La flexibilité de l’horaire, le sentiment de travailler et d’être en vacances au même moment, la rencontre de gens extraordinaires du monde entier, vivre de ses passions dans la vie, l’apprentissage de nouvelles cultures, ne plus vivre du 8 à 5 et être totalement autonome de l’organisation de son temps, de sa vie. »

Marie-Eve Drolet
Marie-Ève Drolet, consultante en stratégie web

Qui peut devenir digital nomad ?

Si certains métiers semblent se prêter davantage à ce mode de vie, comme traducteur, rédacteur web, gestionnaire de communautés, intégrateur, photographe, développeur, etc., les jeunes entrepreneures derrière Nomad Junkies croient qu’avec une certaine ouverture, le bureau peut facilement se transposer ailleurs. Elles ont d’ailleurs vu des psychologues qui offraient des services en ligne ! « C’est une question d’adaptation et de transition. L’ouverture est là pour de plus en plus de types d’emploi », affirme Émilie.

Séduit par le nomadisme numérique, quiconque ne peut toutefois choisir ce mode de vie : être organisé et être autonome sont des atouts non négligeables. « Tu dois être très organisé et motivé. Tu es dans un environnement différent. Autour de toi, les gens sont en vacances. Ils sont là pour voyager, s’amuser, découvrir. Toi, tu dois te retirer parce que tu as un document à remettre. Il faut être très autonome et organisé », explique Émilie.

« La motivation à travailler est parfois difficile à aller chercher quand on est à quelques pas de la plage ou d’activités inusités », dit Gabrielle. Elle croit elle aussi que pour être un nomade numérique de façon soutenue, « on doit avoir un emploi qui peut se faire de partout ». « Les emplois sur le web s’y prêtent bien. Au niveau boulot, l’autonomie, l’organisation et une bonne communication avec ses collèges sont très importantes. Niveau personnel, la facilité de s’adapter aux changements et aux imprévus est aussi très importante, ainsi que la débrouillardise. »

« Ce n’est pas fait pour tout le monde. Parfois, les appels se font à minuit le soir. Tes amis font la fête, mais tu as un appel dans 20 minutes. Il faut s’adapter ! », lance Safia.

Pour Marie-Ève, le nomadisme numérique conviendrait à toute personne qui a la capacité de s’adapter facilement, qui n’accorde pas une grande importance à ses biens matériaux, qui se débrouille dans la vie et qui souhaite apprécier le moment présent.

Gare aux bémols

Tout nomade numérique est tributaire de la connexion du Wi-Fi. Il peut même s’avérer difficile d’envoyer un courriel ! Anecdotes et faits cocasses à part, les filles de Nomad Junkies attestent qu’il faut toujours avoir un plan B et un bon système de sauvegarde.

Il faut aussi faire attention de ne pas s’isoler. La solitude, c’est bien, mais il ne faut pas rester reclus dans son coin non plus. Safia suggère de tirer avantage des ressources qui s’offrent aux novices. « Dans les auberges, tu peux faire des activités, tisser des liens avec les gens, faire des tours guidés, aller dans des espaces de co-working ».

« Il faut penser à long terme, trouver le moyen de trouver son équilibre. À Montréal, tu as tes amis et ta famille. Il faut recréer cette balance-là ailleurs », enchaîne Émilie.

« Évidemment, c’est parfois compliqué de se coordonner avec le bureau quand on est à 10-12-15 heures de différence », mentionne Gabrielle. « C’est parfois lonely aussi, particulièrement durant la période des Fêtes. Être physiquement loin de ses proches lorsqu’ils vivent des moments moins faciles a aussi été difficile pour moi », confie-t-elle. « Quand on est malade ou blessé, ça peut être difficile à gérer quand on ne parle pas la langue et qu’on ne connait personne dans le pays où on est. »

Émilie et Safia conseillent de réduire son ambition dans les itinéraires lorsqu’on est un nomade numérique. « Le plus difficile, c’est quand on bouge beaucoup et qu’on veut voir beaucoup de lieux en peu de temps. Tu dois te déplacer aux 2-3 jours. Simplement le temps de pack, unpack, trouver où dormir, trouver du transport… C’est épuisant. Ça prend plus d’énergie dans ta journée pour travailler. Plus tu te déplaces, moins tu as le temps de travailler, moins t’es efficace », explique Émilie. « Les gens font l’erreur de se brûler au début ! » 

Les deux voyageuses insistent d’opter pour le slow travel. « Tu restes plusieurs semaines, voire plusieurs mois dans un seul endroit, ce qui te permet de t’installer pour t’imprégner, découvrir la culture locale. Ça peut réduire les coûts aussi : tu peux louer pour une plus grande période de temps — comme au mois par exemple — et obtenir un tarif préférentiel. Tu as des points de repère. Tu n’as pas à trouver de café Internet avec la bonne connexion, tu sais où aller. Ça enlève beaucoup de stress », précise Safia.

Marie-Ève croit pour sa part qu’il est facile de s’adapter partout. « Il faut seulement poser des questions autour de nous et être créatif! Par exemple, parfois la connexion au Wi-Fi ne fonctionne pas parce que les conditions climatiques sont mauvaises, alors il faut se débrouiller, acheter des datas et les partager sur son ordinateur… il y a toujours des solutions! », estime la jeune femme.

S’outiller avant de prendre la route

Il existe une pléthore d’outils sur le web pour calculer le coût de la vie, voire même déterminer si la connexion Internet est bonne.

« Des outils pour être efficace. Plus de temps à la plage, moins au bureau ! », lance Émilie à la blague. 

Pour sa part, Gabrielle conseille de prendre la décision pour soi, pas pour autrui. « J’ai eu plein de gens qui contestaient mon envie de quitter si longtemps, d’amis et de parents qui m’ont carrément dit “non, je ne veux pas que tu partes” ». « C’est une décision qui doit être personnelle », indique-t-elle. Referait-elle l’expérience ? « Fort probable que je le ferais en tant que freelancer. Bien que j’adore mon travail et l’entreprise pour laquelle je travaille, avoir plus de latitude à ce niveau aurait été bien. »

Quant à Marie-Ève, elle conseille de trouver sa passion et de l’écouter. « Essaie de trouver une façon que tu puisses en vivre. Trouve un premier objectif de voyage qui te motive et monte un plan pour y arriver. Mets les efforts nécessaires et garde le focus. Tu vas y arriver ! », encourage-t-elle.

« Ça vaut vraiment la peine d’essayer. On essaie de démocratiser ça le plus possible et le rendre accessible. Ça n’a jamais été juste sur nous — on essaie de dire aux gens d’aller le tester. C’est vraiment une communauté. On partage des astuces sur notre site », conclut Émilie.

Et puis, avez-vous des envies de vous lancer sur la route du nomadisme numérique ?   

Quelques sites qui valent le détour si jamais la fièvre du nomadisme numérique vous saisit :

Fiverr.com
Upwork.com
NomadJunkies.com
NomadList
RemoteYear.com