Marketing et Communication

Doubler ou ne pas doubler, là est la question

par The French Shop 17 avril 2025

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En ce début de printemps aux airs d’hiver, la Shop vous a préparé un dossier spécial sur le doublage et autres traductions audiovisuelles qui permettent à des œuvres de vivre dans une autre langue que celle dans laquelle elles ont été pensées et créées. Évidemment, c’est un univers complexe et rempli de subtilités qui va bien au-delà de la traduction. On analyse également ce drôle de phénomène qui touche les Québécois ces temps-ci : ils se disent maintenant Canadiens (et fiers de l’être). On aura tout vu! Bonne lecture.

Nationalisme 2.0 : quand le Québec redécouvre ses racines canadiennes

Le vent tourne au Québec
Je ne surprendrai personne en disant que les récentes menaces de Donald Trump — notamment ses idées de tarifs douaniers et son délire de faire du Canada le 51e état américain — ont déclenché une véritable vague de nationalisme au pays. Ce qui est vraiment étonnant, c’est à quel point l’effet se fait sentir au Québec aussi. Selon un récent sondage de l’Institut Angus Reid, le sentiment de fierté canadienne a grimpé de 13 points en quelques mois. Et ce regain d’attachement pour le Canada se répercute jusque dans les comportements d’achat des Québécoises et des Québécois.

Un changement de perception majeur
Il n’y a pas si longtemps, mettre de l’avant le Canada dans une pub au Québec était plutôt risqué. Les marques qui voulaient bien passer leur message devaient miser sur le local, sur le « ici », et éviter à tout prix de trop jouer la carte canadienne. Mais aujourd’hui, on assiste à un véritable revirement. Le contexte politique actuel ouvre la porte à une nouvelle réceptivité : en réaction aux tensions avec les États-Unis, la population québécoise est de plus en plus encline à valoriser les produits qui affichent clairement leurs racines canadiennes. Mais attention, ce n’est pas un chèque en blanc pour du marketing nationaliste mur à mur. Le respect de notre culture, de notre langue et de nos valeurs demeure essentiel.

Et ce changement ne s’arrête pas à notre manière de consommer. Il suffit de voir ce qui s’est passé lors d’un des derniers matchs du Canadien à Montréal, où la foule a chanté fièrement l’hymne national, pour comprendre qu’on assiste à une transformation profonde. Habituellement, on boude notre propre hymne, mais depuis quelque temps, on s’est mis à le chanter haut et fort… même si on connaît pas la moitié des paroles.

Les Québécois·es veulent acheter local… et canadien
Ce regain de fierté ne s’exprime pas que dans les sondages : il a une influence directe sur nos habitudes de consommation. Plus de la moitié des Québécoises et Québécois affirment vouloir délaisser les produits américains pour privilégier ceux d’ici. Et tout ce beau monde-là est prêt à payer plus cher pour des produits fabriqués localement.

Les entreprises qui sauront s’adapter à cette nouvelle réalité auront un avantage, c’est certain. Mais il ne suffit pas d’ajouter simplement un drapeau canadien sur l’emballage : si l’on veut être efficace, le message doit être authentique et parler réellement aux consommatrices et consommateurs de la Belle Province.

Comment communiquer dans ce contexte?
Miser sur l’origine des produits : si vos produits sont faits au Québec ou ailleurs au Canada, mettez-le de l’avant de façon intelligente. Faites preuve de transparence et montrez votre engagement envers l’économie locale.

Obtenir des certifications reconnues : des logos certifiés comme « Produit du Québec », « Fabriqué au Québec » ou « Conçu au Québec » permettent aux gens d’identifier rapidement l’origine du produit et aident à renforcer la confiance des consommatrices et consommateurs.

Valoriser l’impact local : pour les entreprises étrangères qui produisent au Québec, il est crucial de mettre en évidence l’utilisation de ressources locales et la création d’emplois.

Adapter son message : parler du Canada, oui, mais avec finesse. Ce qui résonne le plus en ce moment, c’est les retombées économiques locales. Le reste doit être considéré à travers un filtre québécois pour rester pertinent.

Une occasion à saisir
Le Québec est en pleine évolution quant à sa perception de l’identité canadienne. Ce qui était hier un élément à manier avec précaution devient aujourd’hui une occasion à explorer. Mais encore faut-il le faire avec doigté. Les marques qui sauront intégrer intelligemment ce changement de perception dans leur stratégie auront sans aucun doute une longueur d’avance sur la concurrence.

Est-ce que cette tendance va durer? Difficile à dire. En affaires comme en politique (et même au hockey), tout peut toujours changer. La game évolue, et les talents qui savent s’adapter s’en tirent toujours gagnants. Alors, ne faites pas le saut si, dans un avenir proche, on vous recommande d’enlever la feuille d’érable de vos publicités.

Geneviève Vincent, Directrice de création et de transcréation

La traduction audiovisuelle : un pont entre les cultures à l’ère du streaming

À une époque où les frontières semblent se refermer et où les débats identitaires s’intensifient, l’essor des plateformes de diffusion en continu favorise paradoxalement le décloisonnement des cultures. Dans ce contexte, la traduction audiovisuelle agit comme un formidable outil de partage et de compréhension mutuelle.

La traduction audiovisuelle, c’est l’adaptation de contenus multimédias pour un public international. Elle inclut le sous-titrage, le doublage, la surimpression, et l’audiodescription, et tient compte des spécificités culturelles et linguistiques. Il ne s’agit pas simplement de traduire des mots, mais de transmettre une œuvre dans une langue pour qu’elle fasse sens pour un nouveau public, sans qu’elle perde son essence.

Lorsque bien réalisé, cet acte de (trans)création permet d’apprécier une œuvre sous un angle nouveau, notamment à travers une prise de conscience plus profonde des réalités et des mœurs d’un autre pays. Cette pratique fait vivre l’œuvre au-delà de ses frontières, tout en contribuant à garder bien vivante la langue d’origine dans laquelle elle a été créée.

Cette démarche enrichit entre autres l’expérience cinématographique, en ouvrant un dialogue empathique entre des gens qui, autrement, seraient éloignés. Grâce aux sous-titres, le public international peut non seulement découvrir les codes sociaux, l’humour et les préoccupations d’une autre culture, mais aussi se confronter à des dilemmes universels à travers un prisme local.

Dans les dernières années, l’Espagne a montré qu’elle pouvait faire du suspense de haut calibre avec La Casa de Papel. Devenue un véritable phénomène mondial, la série a suscité un intérêt renouvelé pour la langue et les traditions espagnoles, en plus de braquer les projecteurs sur les enjeux politiques et sociaux de notre temps. Borgen nous a fait plonger dans la vie politique de la première ministre Birgitte Nyborg, avec comme toile de fond, les valeurs progressistes de la société danoise. Lupin s’est hissée en tête des palmarès, créant un engouement monstre autour d’une œuvre classique de la littérature française. Et que dire de la Corée du Sud qui, en deux ou trois ans seulement, est devenue une référence avec ses « K-dramas », comme Extraordinary Attorney Woo et The Glory, sans oublier son dystopique Squid Game, énorme succès planétaire qui a généré 1,65 milliard d’heures de visionnement dans le premier mois suivant sa sortie – l’équivalent de 188 400 années!

Au Québec, où la langue française est à la fois un héritage et un marqueur d’identité, la traduction audiovisuelle joue un rôle fondamental dans l’affirmation et la reconnaissance de la singularité québécoise. Terre francophone au cœur d’un monde anglophone, la Belle Province s’est toujours trouvée à la croisée des chemins. Ce mélange unique, fait de traditions européennes et d’influences nord-américaines, a donné naissance à une culture riche, mais parfois mal comprise au-delà de ses frontières. Le français québécois est un exemple évident de ce métissage. Ses facettes multiples sont malheureusement souvent mises de côté lorsqu’il s’agit de traduire des œuvres québécoises pour les marchés étrangers. Comme le dit Chloé, le personnage de la Québécoise Charlotte LeBon dans The White Lotus : « Je ne suis pas Française. Je viens du Québec, c’est pas la même chose. » 

White Lotus

Alors que l’accès instantané aux contenus est devenu la norme, la traduction sous toutes ses formes représente un enjeu majeur pour la diffusion de la culture québécoise. Le Québec, par sa position géographique et linguistique, pourrait facilement se retrouver isolé si ses productions ne parvenaient pas à franchir les barrières de la langue.

À travers une traduction réfléchie, appuyée par la fine expertise culturelle, qui saisit toutes les nuances, les particularités linguistiques et les expressions propres au français québécois (et pas celui de la France), les œuvres de chez nous peuvent non seulement se faire connaître un peu partout, mais aussi – et surtout –, partager un bout de l’âme de notre culture unique avec le monde entier. C’est là tout le pouvoir de la traduction : jeter des ponts, faire tomber les murs, et rapprocher les peuples par la richesse de leurs histoires.

Marie-Eve Lauzon, traductrice-réviseure principale, TOS

Doubler vos campagnes en français : la solution miracle?

À la Shop, on se fait souvent demander par nos partenaires si le doublage est envisageable dans le cadre de l’adaptation d’un spot. Après tout, on ne peut pas nier qu’au Québec cette pratique fait partie intégrante de nos habitudes de consommation de films et de séries télé. Lorsque jumelé à une adapt de feu, le doublage peut donner vie à des classiques comme Les Simpsons ou Slap Shot, dont la version en joual a généré toute une avalanche de citations cultes, genre « Dave c’t’une terreur, Dave c’t’un tueur, Dave yé magané! » #ceuxquisaventsavent

D’ailleurs, on a développé dans la Belle Province toute une culture de doublage et on irait même jusqu’à dire qu’on est des champions reconnus mondialement : tout plein de comédien·ne·s d’ici en font une carrière et on dispose d’une expertise bien aiguisée sur le plan technique. De gros joueurs comme Disney et Amazon ont compris qu’il est nécessaire de faire adapter leurs projets par des talents québécois s’ils veulent cibler le public québécois, pis ça, c’est toujours bon signe pour pas mal de jobs. 

Fait que, si on tient compte de tout ça, pourquoi la Shop continue-t-elle de faire sa gossante et de dire « non »?

C’est qu’au Québec, le public a tendance à rejeter les marques qui utilisent le doublage en pub. Les Québécois·e·s apprécient les marques qui font l’effort de communiquer directement avec elleux, par le biais d’expériences vécues et d’un langage qui leur est familier. Le doublage brise cette illusion, en montrant assez clairement que la publicité n’a pas été conçue à l’origine pour notre monde.

On se fait souvent dire, aussi, que cette solution représente une option moins chère que le double shoot. Mais l’est-elle vraiment? Pas tant, si on ne veut pas faire les choses à moitié (voir un tableau comparatif des coûts plus bas). Quand on double, il faut d’abord embaucher un·e adaptateur·trice (la personne super spécialisée qui va se charger de faire fitter les mots avec les babines). Puis, une fois le script rédigé, ça prend ensuite d’autres ressources pour produire la bande rythmo, c’est-à-dire la p’tite bande défilante qui a été synchronisée avec le film et qui comporte le dialogue à enregistrer. Il faut ensuite engager un·e directeur·trice de doublage et les comédien·nes, dont le cachet peut être plus élevé que d’habitude en cas de spécialisation. 

Bref, vous voyez où on veut en venir : le doublage ne coûtera pas nécessairement aussi cher qu’un double-shoot, mais on n’est étonnamment pas si loin que ça non plus. Il faut aussi se rappeler que ce n’est pas toujours l’option la moins chère qui est la plus efficace — on peut bien sabrer les coûts, mais en le faisant, on court aussi le risque de sabrer les résultats. Économiser de l’argent ne veut rien dire si on n’atteint pas son public cible… et ça, c’est sans compter qu’un mauvais doublage aura des répercussions extrêmement malaisantes. C’est essentiel de garder en tête que les gens veulent du vrai. Si on estime que ça n’aura pas des retombées aussi satisfaisantes que celles de la version originale, on est d’avis qu’il vaut mieux éviter de faire les choses à moitié et consacrer notre budget à une autre solution de localisation.

Ceci étant dit, les exceptions à la règle, ça existe. Chez TFS, on a eu affaire à un cas qui, pour la première fois depuis un bout, nous a fait réaliser que coudonc, c’est quand même faisable, un doublage de pub réussi. Faut dire que les planètes étaient alignées et que les circonstances jouaient pas mal en notre faveur.

Doublage versus double-shoot (exemple) : 
Un client nous demande de doubler 4 comédien·nes dans un message 30 secondes. Combien en coûterait-il approximativement si on décidait plutôt de le tourner avec des vrais talents francophones du Québec?

doublage

Le cas Cottonelle
Je me souviens quand mon collègue m’a écrit pour me demander si c’était possible de doubler la nouvelle campagne de Cottonelle avec Ken Jeong. Je suis convaincue qu’il s’attendait à ce que je lui dise non. Je dis toujours non quand on me demande si c’est une bonne idée de doubler une campagne pour le Québec. Mais là, mon instinct me disait quelque chose qu’il me dit rarement : je pense que ça se pourrait. 

Pourquoi, tout à coup, essayer de vendre du papier de toilette à mes compatriotes en utilisant une vedette américaine doublée ne sonnerait pas faux, comme la vaste majorité des publicités de ce genre?

Décortiquons ça ensemble.

D’abord, Ken Jeong. Ken Jeong, mais surtout sa voix québécisée, résonnent auprès des gens de la Belle Province. Pourquoi? Parce qu’il a joué dans la trilogie de films Lendemain de veille qui a été doublée en français québécois. Et Lendemain de veille fait partie de cette catégorie de films qui sont plus vus traduits que dans leur version originale. C’est un phénomène mystérieux, mais plus un film est niaiseux et plus il sera vu en québécois plutôt que dans sa langue d’origine. Ken Jeong est donc l’un des rares artistes américains qui touchent une corde sensible, parce qu’on le connaît — parce qu’on reconnaît sa « voix ». Si ça avait été Brad Pitt, ou une autre mégastar qui n’existe pas en québécois, la Shop n’aurait pas recommandé de procéder avec le doublage de la campagne. Tout simplement parce que ça ne nous touche pas.

Ensuite, le concept de la campagne de Cottonelle offrait de super occasions de localisation pour le Québec. Sachant que la population québécoise adore l’humour, surtout en pub, ce concept présentait une vraie mine d’or de gags de toilette, de foufounes propres pis d’expressions québécoises qui sonneraient naturelles dans la bouche de Ken Jeong, avec sa voix québécoise qu’on aime déjà.

Tout ça pour dire que j’ai dit oui : pour une des premières et probablement dernières fois, on allait être OK de doubler.

C’est rare que toutes les circonstances soient aussi favorables et nous permettent d’imaginer qu’une campagne si « américaine » pourrait performer au Québec. Mais en ayant tout ça en main, c’était évident pour moi que ça allait marcher. Surtout qu’on a engagé le meilleur adaptateur en doublage (à mon avis), Benoit Rousseau. Une sommité, une légende dans le domaine du doublage au Québec, un talent surtout connu pour son adaptation en québécois des Simpsons. Son travail est pour moi une grande source d’inspiration. J’étais donc très heureuse qu’il accepte de travailler avec nous pour veiller à ce qu’on livre un travail impeccable. On a travaillé de concert avec Benoit pour tenter de localiser le plus possible la campagne. Le but n’était pas de faire « semblant » que Ken Jeong parlait français dans les messages — tout le monde allait s’apercevoir qu’on avait usé de doublage. Ce qu’on voulait, c’est que les Québécois·es ressentent dans leur cœur et dans leur âme qu’on leur parlait directement, dans leur langue, avec leurs expressions. On voulait allumer une étincelle. Parce que comme dirait l’autre : c’est une question de feeling. En résumé, si je sens que vous avez fait l’effort de vous adresser juste à moi, je serai beaucoup plus encline à écouter ce que vous avez à me dire.

Cotonelle

Un dossier préparé par David Gagnon, président du studio Edgar, Arielle Jerbi, conceptrice-rédactrice, et Valérie Forget, directrice de l’adaptation.

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