J’ai connu les Accordailles en commençant à faire des appels d’amitié avec des aîné·es il y a maintenant environ 2 ans. La mission de l’organisme de charité est, entre autres, d’offrir des services de soutien et de support aux personnes en perte d’autonomie, afin de les aider à demeurer dans la communauté le plus longtemps possible.

Depuis, tous les dimanches, j’appelle André. Il a 86 ans. Il aime le hockey, le jeu des sept erreurs dans le Journal de Montréal ainsi que les sardines.

Il peut être complexe et confrontant d’interagir avec des personnes âgées. On n’est jamais passé par là. On ne sait pas trop quoi dire pour tisser des liens, et surtout, pour ne pas les placer dans une situation qui pourrait les rendre inconfortables. Il faut tenter de les connaître individuellement, les écouter en tant que personne, et non selon les chiffres associés à leur âge… Tout en gardant en tête que y’a de jeunes vieux. De moyens vieux. Et des vieux vieux. C’est délicat.

J’avais donc envie de creuser un peu plus le sujet et d’aborder la réalité méconnue de beaucoup d’aîné·es. Pour ce faire, je suis entrée en contact avec la directrice des Accordailles, Julie-Anne Fortin, ainsi que Stéphanie Luna, docteure en sciences biomédicales, se spécialisant sur les effets de l’expérience sur la réserve cognitive en cours de vieillissement normal.

C’est d’abord lors de ses stages que Julie-Anne a eu la chance de visiter différents milieux d’intervention auprès de nombreuses clientèles. Elle a eu deux coups de cœur: pour les aîné·es et pour le milieu communautaire. «Aider à soutenir le maintien dans la communauté, la participation sociale et le pouvoir d'agir des aîné·es par le biais d'actions concrètes est ce qui continue de rendre ce milieu d'intervention si stimulant pour moi», nous dit-elle. «C'est un champ d'intervention fascinant, nécessaire et surtout impossible à remplacer.»

De son côté, quand Dre Luna a débuté ses recherches en la matière, elle a constaté «[qu’il lui] apparaissait évident que nous avions tous une vision conjointe de ce qu’était une personne âgée. Le vieillissement est un processus normal partagé par tous qui débute assez tôt dans l’âge adulte. Mais à quel moment le vieillissement est assez avancé pour qu’une personne se mérite l’appellation de "personne âgée"?» explique-t-elle. «C’est ma prise de conscience de cette étiquette sociale, populaire, floue, et stéréotypée d’un "état d’être" forcé de personne âgée qui m’a le plus surprise. Elle m’a surprise parce qu’évidemment, comme tout bon stéréotype bien nourri, je l’alimentais inconsciemment. Cet état arrive quand? À qui? Selon quels critères? Sur la base de quelles caractéristiques? On pense tout de suite à l’âge théorique marquant la frontière entre les adultes d’un plus jeune âge et les personnes âgées, âge qui s’est fixé à 65 ans par convention. On sédimente cette frontière dans des publications ministérielles, des recherches scientifiques, dans les critères pour rejoindre un club social d’aîné·es, dans les critères pour bénéficier d’une carte de rabais, etc. Ce que mes recherches, et de nombreuses recherches sur le vieillissement ont pu mettre en lumière, c’est avant tout le caractère intrinsèquement hétérogène du vieillissement et ses diverses manifestations. L’expérience de vie et la prédisposition génétique ne sont que deux facteurs pouvant avoir un impact important sur la perception individuelle de vieillissement que peut vivre une personne.» précise-t-elle.

On connait plusieurs causes de l’isolement social, notamment la retraite entraînant une altération importante à sa raison d’être, la maladie et le déclin de sa santé physique globale dont la mobilité ainsi que l’entourage vieillissant. L’isolement lui-même n’apporte-t-il pas aussi son lot d’impacts
JAF & SL:
L’isolement social chez les personnes âgées est une sorte de cercle vicieux, où la cause de l’isolement peut rapidement devenir une source d’alimentation du besoin de s’isoler. Effectivement, l’isolement chez les aîné·es peut être occasionné par une multitude de facteurs, dont des changements d’ordre cognitifs et physiologiques. Ces changements peuvent générer une certaine forme de réticence à s’exposer à des situations moins courantes ou en dehors du quotidien. Par exemple, une diminution de la force physique peut augmenter la peur de s’exposer à un risque de chute, ou encore, la difficulté à entendre des conversations dans des lieux publics en raison d’une perte auditive peut motiver les aîné·es à éviter ce type d’activités.

Ce comportement d’évitement répété peut affaiblir les habiletés sociales et entraîner de l’anxiété face à des activités nécessitant des interactions avec autrui. Une fois ce cycle enclenché, l’isolement social peut se transformer en une cascade: le peu de contact avec l’environnement extérieur peut exacerber un trouble anxieux, le peu de stimulation cognitive peut mener à une accélération du déclin cognitif, la diminution de leurs déplacements peut entraîner un affaiblissement de leur force physique, etc. Cette problématique montre toute l’importance d’encourager les aîné·es à entretenir un certain niveau de participation sociale et à se joindre activement à la vie communautaire.

Quelles sont les charges supplémentaires auxquelles on n’a pas tendance à penser et qui pèsent sur le quotidien solitaire des aînés·e?
JAF & SL:
Il nous apparaît important de mettre en lumière le poids des deuils successifs chez les personnes âgées. Nous entendons par deuils successifs la perte répétée d’êtres chers: un·e conjoint·e, un membre de la famille, un·e ami·e, etc. Le deuil est une épreuve vécue différemment par tout un chacun, et malgré la répétition de cette expérience, il est important de ne pas minimiser la souffrance des personnes âgées. En plus de vivre la perte de cette personne, le deuil peut amener la personne à réfléchir à sa propre vie, à sa propre mort, et entraîner une forme de détresse psychologique qui n’est pas à minimiser.

De quelle manière le numérique déconnecte-t-il davantage les aîné·es du reste du monde?
Julie-Anne:
Nous avons la chance de connaitre et d’utiliser un bon nombre de technologies nous permettant de rester connecté·es à nos proches. Nous avons aussi la chance d’avoir grandi en étant en contact constant avec la technologie. Pour nous, apprendre à utiliser une nouvelle plateforme ne pose généralement pas de problème.

Cependant, grand nombre des aîné·es que nous accompagnons aux Accordailles sont étranger·ères à ce monde technologique. Pour ces personnes, Facebook, Messenger, Zoom, Teams et même Internet en général ne sont que des concepts flous. Nous savions que cette fracture existait, toutefois, nous arrivions à rejoindre les gens et à nous rencontrer sans trop de difficultés. Malheureusement, lorsque la COVID a frappé, cette fracture superficielle s’est rapidement transformée en un réel handicap. Comment allions-nous rejoindre nos membres? Comment briser leur isolement sans les voir? Nous savions que les appels téléphoniques étaient une option, mais nous avons dû user d’énormément de créativité afin de penser à des solutions qui ne nécessitaient pas d’être «branché·es». C’était même plutôt frustrant de penser aux différentes options qui se seraient offertes à nous si nous avions pu tirer profit de tout ce que le reste du monde s’est mis à utiliser pour garder contact.

Cela représente aussi un problème lorsque les compagnies et les différents organismes ou réseaux décident de se moderniser. Les aîné·es voient leur accès aux services se complexifier. Par exemple, quelqu’un qui n’a pas de médecin de famille et qui doit prendre rendez-vous dans une clinique médicale. L’impression du code QR a aussi représenté un enjeu, tout comme les impôts, etc.

Y a-t-il moyen de remédier, ou du moins, de minimiser les impacts de cette fracture numérique?
JAF & SL:
Comment en minimiser les impacts? C’est une bonne question. Il serait intéressant d’adresser des recommandations à l’égard du gouvernement afin qu’il soit sensibilisé à la transformation numérique en cours, répondant peu au besoin d’une grande partie de la population. Ici, nous incluons les aîné·es, mais également toutes familles n’ayant pas les moyens de se payer un ordinateur ou un téléphone intelligent. L’objectif n’est pas de freiner cette progression vers le numérique, mais plutôt d’offrir un système hybride permettant aux personnes n’ayant pas accès à la technologie de fonctionner adéquatement. Une des solutions pourrait être d’investir davantage dans des ressources communautaires, plus particulièrement dans des intervenant.es de milieu, puisque ces ressources sur le terrain s’assurent d’offrir un service personnalisé aux aîné·es en fonction de leur degré d’aisance avec la technologie.

Les aîné·es ont tendance à avoir le sentiment d’être inutile ou de peu d’importance. Comment la société (et l’actualité) participe à cette dévalorisation perçue chez eux?
JAF & SL:
Oh, cette dévalorisation est alimentée de nombreuses façons. Tout d’abord par la population en générale qui entretient des stigmates à l’égard des personnes âgées: «les aîné·es coûtent trop cher» ; avec la COVID «pourquoi devrions-nous rester TOU·TES confiné·es pour protéger une petite partie de la population, il·elles n’ont qu’à s’isoler eux·elles-mêmes» ; «de toute manière les aîné·es ont la vie derrière eux». Ou encore, dans la sphère politique où les enjeux socioéconomiques du changement démographique sont de plus en plus médiatisés, en rappelant les espaces de soins insuffisants dans les milieux hospitaliers et le manque de ressources en centres d’hébergement de soins de longue durée. Comme quoi l’accroissement de la population vieillissante et son impact sur le réseau de la santé est un «problème» qui va coûter cher.

Le manque de reconnaissance de l’apport général à la société et le manque de visibilité positive dans les médias. des aîné·es sont des grands contributeurs à cette culture de désintérêt envers cette partie de la population. Une majorité d’aîné·es poursuivront leurs activités dans la collectivité similairement à leurs concitoyen·nes d’un plus jeune âge. Selon Volonteer bénévoles Canada, 36,5% des aîné·es canadien·nes font du bénévolat à raison d’une moyenne de 223 heures par année.

Cette réalité impacte la perception des aîné·es sur leur «droit» à avoir une place dans la société. Cette stigmatisation généralisée fait son chemin et s’ancre dans leur perception d’eux·elles-mêmes, et de la perception qu’il·elles ont des autres aîné·es. Cette stigmatisation, autrement appelée âgisme, est d’ailleurs grandement responsable de leur isolement.

Quelles pistes donnerais-tu à quelqu’un – de manière individuelle ou pour une organisation – qui cherche à favoriser l’émergence d’une conscience sociale à l’égard des aîné·es?
JAF & SL:
Dans un premier temps, nous recommanderions à ces personnes ou ces organisations de s’informer et de rester sensibles aux enjeux rencontrés par les personnes âgées. Les revendications des personnes âgées peuvent se faire moins «bruyantes» dans le contexte sociétal actuel que d’autres groupes vivant une forme de stigmatisation, tels que les personnes vivant du racisme ou du sexisme. Il est donc de la responsabilité de tou·tes d’aller chercher de l’information pour comprendre les différentes manifestations de l’âgisme. Dans un deuxième temps, nous recommanderions à tou·tes de rester ouvert·es à développer une amitié avec une personne âgée n’était pas dans votre entourage immédiat. Votre présence peut faire une différence incroyable dans la vie d’un·e aîné·e, et vous pourriez être surpris·e par ce que cette nouvelle relation pourrait vous apporter.

Pour en savoir plus sur les projets et initiatives des Accordailles, visitez accordailles.org.

Un des secteurs de soutien du bec est la famille, incluant des consultations sur les soins aux personnes âgées. On vous invite à téléphoner notre ligne de soutien au 1-888-355-5548 où des experts vous conseilleront et vous orienteront vers le(s) service(s) approprié(s) à vos enjeux.

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