Dans tous les domaines ou presque, la liberté et la sécurité sont des concepts qui s’équilibrent tant bien que mal. 

Cet équilibre est à la base des décisions qui concernent la sécurité intérieure des états, la mise en place de règles qui limitent la liberté d’action des usagers de la route en faveur de la sécurité et les programmes de santé et sécurité au travail, qui exigent que les travailleurs récalcitrants portent le matériel de protection adéquat, même s’ils disent en ressentir une certaine gêne.

La vie professionnelle s’exerce aussi entre liberté et sécurité. Pour la majorité des gens, le travail est un compromis entre la sécurité et l’indépendance, entre la réalisation professionnelle et la vie personnelle, entre les aspirations et la réalité du quotidien. Chacun possède ses valeurs propres, sa représentation de la vie et du monde qui l’amènent à favoriser un côté ou l’autre de ces pôles. 

Il semble de bon ton actuellement de présenter l’entrepreneuriat (ou le travail autonome) comme un idéal à atteindre pour tous. On vante la liberté dont bénéficient les entrepreneurs, laquelle, devrait-on croire, est essentielle au développement personnel, à l’exercice de la créativité, à l’émergence des idées et de l’innovation. On met de l’avant des programmes qui vous promettent de lancer votre entreprise en un mois, mais bien sûr, on ne met pas à l’avant-plan le risque financier qui y est nécessairement associé. C’est moins vendeur.

Dans l’ensemble, on entend rarement parler des côtés moins glorieux du travail autonome et de l’entrepreneuriat. La réalité de la charge mentale des entrepreneurs tiraillés entre les mandats à réaliser, la nécessité de promouvoir leurs activités de façon continue, la comptabilité et tutti quanti sont rarement évoquées. 

Ce n’est pourtant pas pour rien que la Fédération canadienne de l’Entreprise Indépendante a parmi ses chevaux de bataille la réduction de la paperasse et le développement de lois et règlements adaptés aux PME. Si vous songez à quitter votre emploi pour vous lancer à votre compte parce que vous en avez marre des contraintes administratives et de la paperasse, gardez-vous en bien !

On ne parle aussi qu’exceptionnellement des facteurs psychologiques et émotifs liés à l’entrepreneuriat. On soulignera le sentiment de fierté associé à la réalisation présentée en vitrine sur Linkedin, mais on ne parlera pas du doute, du sentiment d’imposture, qui m’est souvent partagé par des travailleurs indépendants.

Si la vie professionnelle présente pour tous des enjeux relatifs à la confiance en soi et à l’estime de soi, on est sous les feux de la rampe lorsque notre entreprise se résume à notre propre personne. Les entrepreneurs mentionneront souvent se sentir exposés. C’est aussi une des raisons pour laquelle plusieurs travailleurs autonomes (en commençant par moi !) choisiront d’adopter une raison sociale commerciale. On est parfois plus confortable à l’ombre d’un logo… 

Il est aussi à la mode de parler de l’échec en entrepreneuriat comme s’il s’agissait d’une étape essentielle de l’apprentissage. Si les revers de fortune apportent généralement beaucoup de leçons qu’on gagne à intégrer, en glorifiant les enseignements qui proviennent de la déconfiture, on néglige de parler de la détresse ressentie par ceux qui voient disparaître dans une faillite la maison familiale mise en garantie.

Loin de moi l’idée de décourager qui que ce soit de se lancer dans l’entrepreneuriat. Je suis moi-même travailleur autonome depuis près de 20 ans et je suis dans l’ensemble très satisfaite de cette situation. Il me semble par ailleurs pertinent d’apporter un peu de nuance et de réalisme au discours ambiant sur l’entrepreneuriat qui me parait un peu trop jovialiste.  

S’il peut être très stimulant d’être seul responsable de notre destinée professionnelle dans une formule libre des contraintes d’un lien d’emploi, cette situation ne convient toutefois pas à tout le monde. Pour plusieurs les risques économiques font en sorte de les exclure, ils ne peuvent pas se permettre une telle liberté, ils se doivent de préserver leur sécurité financière.

Ce n’est toutefois pas la seule raison qui fait en sorte que l’entrepreneuriat n’est pas la voie à adopter pour tous. Certaines aspirations professionnelles ne peuvent tout simplement pas être réalisées au sein d’une PME. Le parcours qui conduit à la fonction d’économiste en chef dans une banque ne passe habituellement pas par le fait de bâtir tout d’abord sa propre institution financière. 

Jean-Paul Sartre disait : « La liberté ce n’est pas de pouvoir ce que l’on veut, mais de vouloir ce que l’on peut. »  La pleine liberté professionnelle ne permet pas la réalisation de tous les fantasmes, parce qu’elle vient elle-même avec un lot de responsabilités et de conséquences, comme tous les choix professionnels. Le choix d’une situation professionnelle exige une réflexion approfondie, murie. 

Avant de vous engager dans une nouvelle voie, il est utile de faire un bilan professionnel et de porter un regard élargi sur le marché du travail, pour pouvoir définir des objectifs réalistes et bâtir un plan d’action réalisable. Lorsqu’il est question de votre principale occupation quotidienne et de votre source de revenus, méfiez-vous des chantres de la liberté à tout crin, faites vos devoirs. Autrement vous risqueriez de déchanter lorsque vous verrez l’étiquette de prix qui y est jointe.    

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