L’intelligence artificielle ne remplace pas encore les expert·es des médias, mais elle façonne déjà les contours de leur travail. Certains projets actuels révèlent à quel point cette évolution pourrait remodeler le paysage médiatique.
Aux États-Unis, des entreprises comme Channel 1 repoussent les limites avec des bulletins de nouvelles entièrement générés par l’IA, animés par des reporters synthétiques d’un réalisme troublant.
D’autres médias adoptent une approche plus mesurée. En août dernier, le New York Times révélait que la Chine bâtit des villages en bordure de ses frontières himalayennes, avec l’Inde, le Bhoutan et le Népal, payant sa population pour y habiter et renforcer la sécurité. Cette découverte a été rendue possible grâce à l’analyse par l’entreprise d’intelligence artificielle RAIC Labs d’une multitude d’images satellites recueillies sur huit ans. Un exemple frappant du potentiel de l’IA dans le journalisme de données.
Le Washington Post a lancé, en novembre dernier, Ask The Post AI, un outil permettant de poser des questions sur l’actualité. Les réponses sont accompagnées d’une liste d’articles ayant servi à les formuler et d’un avertissement sur la vérification des faits. Une manière simple et transparente de simplifier l’accès à l’information sans remplacer le travail humain.
Et au Québec ?
Il y a QUB Radio, la radio numérique de Québecor, qui utilise ChatGPT depuis mai 2023, pour rédiger de courts articles basés sur des entrevues audio. La station WOW, à Gatineau, a lancé Le décompte A.I., une émission partiellement générée et entièrement animée par IA. Mais la plupart des médias québécois « commencent à intégrer l’intelligence artificielle (IA) dans leurs opérations, de manière prudente et encadrée », répond Perplexity.ai. Et la plateforme de recherche n’a pas tort. Marie-Nathalie Poirier, premier chef, produit et stratégie, à CBC/Radio-Canada, et Marie-Pier Frappier, rédactrice en chef par intérim de Les Affaires, abondent dans ce sens. Bien que des défis éthiques importants doivent être pris en compte, des pistes prometteuses sont explorées avec une grande rigueur.
L’expérience utilisateur et l’efficacité opérationnelle au cœur de l’innovation à Radio-Canada
À Radio-Canada, la ligne directrice est claire : l’humain reste au centre de l’utilisation de l’intelligence artificielle. L’objectif est d’améliorer l’expérience utilisateur et d’accroître l’efficacité opérationnelle sans écarter la participation humaine.
En matière d’expérience utilisateur, la société d’État propose depuis l’an dernier la synthèse vocale des articles ainsi que la transcription générée par l’IA de certains balados et émissions de radio.
« Nous avons pris l’angle de l’accessibilité, affirme Marie-Nathalie Poirier. Nous utilisons l’IA pour rendre nos contenus accessibles à des gens en situation de handicap ou ayant des problématiques diverses. »
En ce qui a trait à l’efficacité, l’équipe de Radio-Canada explore l’intégration de l’intelligence artificielle dans son processus éditorial et a notamment commencé à tester Gemini, l’outil d’IA générative de Google, pour optimiser certaines étapes de production de contenus, en accord avec les Normes et Pratiques Journalistiques (NPJ) de Radio-Canada. Ces contenus « croquables » sont publiés sous forme de brèves dans la rubrique En bref du site et de l’appli RC Info pour favoriser la compréhension de l’actualité par un public de 18 à 34 ans. Ces brèves reprennent souvent les grandes lignes d’articles rédigés par les journalistes de Radio-Canada, faisant par exemple ressortir au passage des statistiques ou des faits marquants.
« Gemini nous sert d’outil d’aide à la rédaction. C’est-à-dire que nous avons développé des requêtes pour résumer, dans un ton jeune et dynamique qui respecte les codes des réseaux sociaux, l’information contenue dans des articles existants. Évidemment, tout est ensuite révisé et vérifié par un humain. L’idée, c’est d’accélérer le pas pour produire un peu plus de brèves et, surtout, pour se donner le temps de creuser davantage les sujets », explique la stratège rappelant qu’il s’agit d’un projet pilote.
D’autres avenues visant une efficacité opérationnelle accrue sont également étudiées, telles que la transcription d’entrevues, la traduction, l’optimisation SEO des hyperliens, des titres et des descriptions ou encore le développement d’un outil s’apparentant à celui du Washington Post qui permettrait aux journalistes de fouiller les archives en un temps record.
Expérimentation et découvertes encourageantes aux Affaires
Du côté du média québécois spécialisé Les Affaires, ce ne sont pas moins de 14 chantiers de travail liés à l’intégration de l’intelligence artificielle qui ont été lancés au début 2024 sous l’impulsion de la rédactrice en chef Marine Thomas. Sa remplaçante par intérim, Marie-Pier Frappier, relate que si certains de ces chantiers expérimentaux ont mené à des découvertes intéressantes, la plupart ont prouvé que l’expertise humaine surpasse toujours la machine à bien des égards.
« Nous avons passé beaucoup de temps à perfectionner l’IA, parfois c’était plus efficace de faire les choses nous-mêmes, constate Marie-Pier Frappier. Sans compter les problèmes de confidentialité et d’éthique que posaient certains des outils. »
Parmi les volets explorés, la recherche dans les archives, l’utilisation de Copilot pour la classification des courriels, l’édition des textes provenant d’expert·es invité·es, la vérification des faits et la création d’images ont montré des limites. L’équipe a également tenté de confier à l’intelligence artificielle la tâche de répertorier quotidiennement les gagnants et les perdants de la Bourse de Toronto. Là aussi, la technologie s’est montrée plutôt décevante, n’arrivant pas à traiter l’information de dernière heure.
En revanche, d’autres chantiers ont été bien accueillis, même si rien n’a été parfait du premier coup. L’intégration de l’outil de transcription Good Tape fait désormais le bonheur des journalistes, l’utilisation de l’IA générative pour l’idéation aide parfois à contrer le syndrome de la page blanche et Copilot peut servir pour la diffusion sur les médias sociaux. Mais rien n’est fait sans intervention humaine, rappelle Marie-Pier Frappier.
En 2023, le journal économique est même allé jusqu’à implanter un outil semblable à celui du Washington Post, le Courrier de Séraphin, propulsé par Welcomespaces.io. Celui-ci permettait d’obtenir des réponses générées par l’IA à des questions liées aux finances personnelles. Cependant, l’équipe s’est rapidement aperçu que chaque réponse devait être accompagnée d’un billet d’un·e expert·e. Marie-Pier Frappier explique : « Nous avons lancé le Courrier de Séraphin le jour du budget provincial. Les gens nous ont posé des questions à Séraphin et, pendant que nos journalistes étaient sur la route du retour, j’ai publié la réponse en éditant sans pouvoir vérifier des faits qui venaient de sortir du huis clos. Ce n’était pas ça du tout, raconte-t-elle en riant. À partir de là, nous avons toujours fait valider les réponses par nos journalistes spécialisés et ajouté une réponse plus nuancée provenant d’un·e expert·e. Séraphin répond plutôt comme un robot, alors que les finances personnelles, c’est beaucoup plus humain qu’on le pense. »
Après un an d’expérimentation, l’équipe réfléchit à la suite de cette collaboration et concentre ses efforts sur le développement de modèles GPT qui lui permettraient de générer des articles pour la section À surveiller. Publiés tous les matins, ces articles brossent un portrait très court de trois titres en bourse pour aider les gens à savoir s’ils doivent vendre ou acheter leurs actions. Les articles sont rédigés par des journalistes à partir de rapports exclusifs.
« Comme les textes sont courts, nous pensions que ce serait simple, mais non ! Nous travaillons là-dessus depuis un an et l’historique médiatique du journaliste demeure toujours aussi essentiel. Nous créons maintenant nos propres GPT et commençons à voir des résultats. »
Évoluer avec les outils
Tout ça, ce sont de bonnes nouvelles pour les métiers des médias, s’entendent les deux intervenantes. Ceux-ci sont davantage appelés à évoluer qu’à disparaître, pensent-elles. Même que l’implantation de l’intelligence artificielle dans les milieux de travail pourrait faire émerger de nouveaux métiers, comme ceux de réviseur de modèles GPT et de développeur en langage conversationnel, et renforcer l’importance de rôles existants, comme celui d’éthicien. Des spécialités comme le SEO sont également appelées à se transformer pour prendre un virage IA.
Ce qu’il faudra éviter, selon Marie-Nathalie Poirier, c’est de faire de l’anthropomorphisme avec l’intelligence artificielle. « Ce n’est pas un assistant, mais bien un outil, insiste-t-elle. Comme l’IRM pour un médecin, l’IA augmente les capacités des journalistes, elle ne fait pas leur travail à leur place. » Un point crucial, car aucune IA n’est entièrement fiable, notamment en raison du risque persistant des hallucinations qu’elle peut générer.
Ainsi, bien que l’intelligence artificielle soit appelée à transformer en profondeur le paysage médiatique, un avatar de Céline Galipeau ou un GPT remplaçant Isabelle Hachey ne sont pas pour demain.
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Grande fan de balados, j’ai récemment commencé à utiliser l’outil de résumé audio de NotebookLM pour l’écoute de mes interviews. C’est simple : je téléverse mes notes ou l’enregistrement dans NotebookLM et j’obtiens un balado dirigé par deux animateurs synthétiques qui résume mes interviews. Je mets mes écouteurs et j’écoute ça en courant. Parfois, c’est absolument génial. D’autres fois, c’est catastrophique. L’outil va même jusqu’à produire de fausses citations ! C’est ce qui est arrivé dans ce cas-ci. J’ai donc demandé à NotebookLM de créer un balado à partir de mon article, au lieu. Et le résultat est assez l’fun. Enfilez vos écouteurs, allez vous dégourdir les jambes (ou non) et écoutez ça !
(Offert en anglais seulement. Contenu 100 % généré par l’IA. Les propos des intervenantes et de la journaliste pourraient avoir été mal interprétés.)