Affaires de l'industrie

L’IA en agence: adoption prudente

par Lea D. Nguyen 4 mars 2025

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Disruption totale, bouleversement des métiers, automatisation à tout-va… Que nenni ! La réalité de l’intelligence artificielle dans l’industrie des communications est plus nuancée. Si les agences ont adopté certains outils, leur utilisation reste timide et stratégique. Retour sur une étude qui explore les usages et les réticences du milieu face à l’IA.

ChatGPT en tête de course
Loïc-Alexandre Rousseau, étudiant à la maîtrise en communication à l’Université de Sherbrooke, a commencé à s’intéresser à l’IA en revenant de voyage. Fraîchement diplômé d’un baccalauréat, il cherchait un sujet de maîtrise. La sortie de ChatGPT en novembre 2022 a été une étincelle : « J’ai voulu explorer comment ces outils étaient perçus et utilisés en agence », raconte-t-il. Son projet a pris de l’ampleur jusqu’à s’intégrer à une étude plus large. Cette première enquête de l’Association des agences de communication créative (A2C) et l’Université de Sherbrooke sur l’intégration de l’IA en agence de communication créative (I2A2C2) a été présentée au Sommet des dirigeants de l’A2C en novembre dernier.

Premier constat : l’IA est bien présente, mais sous une seule forme dominante. « ChatGPT domine à 89 % des usages. C’est de loin l’outil le plus utilisé », affirme Dany Baillargeon, professeur agrégé au Département de communication de l’Université de Sherbrooke et responsable du projet I2A2C2. Bien que des outils de génération d’images comme DALL-E ou ceux intégrés à la suite Adobe soient exploités, l’IA reste principalement cantonnée aux tâches textuelles. Mais quelles sont ces fameuses tâches ? « Pour l’instant, son usage est limité : synthèses de réunions, traductions, rédaction de courriels. Les fonctions créatives, comme la génération d’idées, arrivent seulement en 4e ou 5e position », poursuit-il. Contrairement aux prédictions alarmistes,nl’industrie n’a donc pas été siii bouleversée par l’IA.

Loïc-Alexandre Rousseau

Entre avantages et réticences
Près de 59 % des professionnel·les interrogé·es estiment que l’IA présente autant d’avantages que d’inconvénients. Les principaux freins ? La gouvernance et la sécurité des données. « Les agences veulent s’assurer que l’information traitée reste confidentielle et conforme aux normes en place », explique Loïc-Alexandre. « Il y a aussi une prise de conscience que l’IA, contrairement à Excel ou Word, n’est pas un outil neutre. Elle intègre des biais et peut influencer les résultats », ajoute Dany.

Dany Baillargeon

Face à ces enjeux, les agences adoptent des postures variées. « D’un côté, certaines veulent être à l’avant-garde, tester et développer des compétences pour avoir un avantage compétitif. De l’autre, certaines préfèrent attendre, observer les impacts avant de s’engager », illustre Loïc-Alexandre. L’enthousiasme est réel, mais mesuré. « En moyenne, les professionnel·les utilisent l’IA deux fois par semaine. Les heavy users, ceux·celles qui l’exploitent plus de cinq fois par semaine, restent minoritaires », note Dany.

Sans surprise, la création est le secteur où l’IA est la plus exploitée. « Que ce soit pour générer des images, créer des storyboards ou brainstormer plus efficacement, la création a été plus rapide à intégrer ces outils », souligne le professeur. En stratégie, l’IA s’utilise aussi, mais plus timidement. « L’aspect rédactionnel est un facilitateur, mais la stratégie demande une analyse plus fine qui ne peut pas être laissée à l’IA seule », précise Loïc-Alexandre.

Une transparence encore floue
Un certain malaise persiste quant à l’usage de l’IA et à sa transparence. S’appuyer sur l’IA permet d’aller plus vite, mais peut aussi engendrer un sentiment de « paresse » ou de dévalorisation du travail, en donnant l’impression que certaines tâches sont prémâchées, expliquent Loïc-Alexandre et Dany. « Près de 60 % des répondant·es admettent ne jamais ou rarement mentionner à leurs clients qu’il·elles utilisent l’IA », souligne Dany. Si la majorité des professionne·lles interrogé·es estiment que l’IA devrait être signalée lorsqu’elle est utilisée, la réalité des pratiques en agence diffère. « Il y a une remise en question sur la valeur du travail créatif : est-ce l’idée de départ, le résultat final, ou tout ce qui se passe entre les deux ? » Avec des outils capables d’accomplir en quelques instants ce qui demandait autrefois des heures, les gains de temps pourraient entraîner une remise en question des modèles de rémunération des agences.

L’étude met également en lumière un enjeu fondamental : ne pas confondre productivité et créativité. « Ce n’est pas parce qu’on peut produire 18 billets de blog en une journée qu’on devrait le faire », rappelle Dany. L’IA peut générer du contenu à la chaîne, mais la valeur d’un livrable créatif ne se mesure pas uniquement en termes de rapidité d’exécution. « Si on ne fait que s’appuyer sur de premiers jets générés par l’IA, on risque d’uniformiser les contenus et d’appauvrir l’industrie », prévient Dany.

Vers une adoption plus réfléchie
L’IA soulève aussi des enjeux environnementaux. « Une requête sur ChatGPT a une empreinte carbone 30 fois supérieure à une recherche Google », rappelle Loïc-Alexandre. Des initiatives québécoises, comme celles de L’Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’IA et du numérique, cherchent à mieux mesurer ces effets. « Il faudrait hiérarchiser les usages en fonction de leur pertinence. Utiliser l’IA pour créer une maquette conceptuelle a du sens. Mais rédiger un simple courriel de deux lignes ? Peut-être pas. »

Finalement, l’IA n’est pas une « menace » pour la créativité, mais un outil à manier avec discernement. « L’IA va amplifier ta créativité si tu l’es déjà, mais elle ne la remplacera pas si tu ne l’es pas », résume Dany. Pour les agences, l’enjeu est d’en faire un levier d’innovation plutôt qu’un substitut à la réflexion humaine.

Pour consulter les résultats complets de l’enquête, cliquez ici.

La recherche I2A2C2 a été lancée, en collaboration avec l’Association des agences de communication créative (A2C) et financée par MITACS. Constituée de deux groupes de discussion, d’une enquête en ligne auprès de 562 professionnel·les œuvrant dans tous les secteurs d’agences québécoises, et d’entretiens et d’observations auprès de neufs professionnel·les utilisant l’IA, la recherche a pour objectif de saisir un portrait actuel au Québec de sorte à aider les agences à mieux baliser leurs usages des l’IA.

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Pour une intégration réfléchie de l’IA en agence

  • Hiérarchiser les usages : utiliser l’IA pour des tâches stratégiques (maquettes, brainstormings) plutôt que triviales (rédaction de courriels).
  • Évaluer l’impact environnemental : l’empreinte carbone des outils IA est massive. Une requête ChatGPT consomme 30 fois plus d’énergie qu’une recherche Google.
  • Aligner les valeurs organisationnelles : définir jusqu’où intégrer l’IA en cohérence avec l’ADN et les engagements de l’agence.

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