Derrière un grand déballage de «liberté d’expression», Mark Zuckerberg a annoncé un virage stratégique. Au programme: fin de la vérification des faits par des tiers, assouplissement des règles de modération et retour du contenu politique dans les fils d’actualité. Bref, l’empire Meta (Facebook, Instagram, Threads et WhatsApp) décide de secouer son image.
Le risque de dérégulation
Les utilisateur·rices ont réagi immédiatement. Les recherches Google du type «comment supprimer Facebook» et «comment supprimer un compte Instagram sans se connecter» ont bondi en flèche. «L’accès à des informations fiables, tant locales qu’internationales, est déjà limité», note Laurence Grondin Robillard, doctorante en communication à l’UQAM et professeure associée à l’École des médias. Déjà, au Canada, la loi C-18 a conduit Meta à retirer les actualités de ses plateformes, changeant notre écosystème numérique.
«Alors, quand on apprend que Meta prévoit de supprimer la vérification des faits aux États-Unis, et possiblement ailleurs, on peut se douter que le Canada suivra. Quel sera l’impact réel sur la qualité du contenu qu’on reçoit ici, sachant qu’on a déjà perdu l’accès aux nouvelles ?», poursuit-elle. Jusqu’ici, des agences comme l’AFP permettaient de contextualiser les nouvelles et de combattre la désinformation – mais qu’on ne voyait pas au pays à cause du blocage. Désormais, cette tâche revient aux notes communautaires, inspirées de X (ex-Twitter). «Mieux que rien», admet Laurence, mais elles manquent de clarté et d’impartialité. Un système qui soulève plus de questions qu’il n’apporte de réponses. «Qui décide de ce qui est factuel et ce qui ne l’est pas, qui compose cette communauté, quels sont ses biais idéologiques ?» Ces notes, souvent basées sur des contributions bénévoles, n’offrent pas une contextualisation fiable, ce qui peut exacerber la polarisation plutôt que de l’apaiser.
Liberté d’expression, vraiment ?
Autre point sensible : la suppression des garde-fous contre les discours haineux. Meta justifie ce relâchement en expliquant que des sujets comme l’immigration, l’identité sexuelle et le genre sont souvent «au cœur des débats politiques». Mais Laurence met en garde : «Avec cette approche, la liberté d’expression est poussée à l’extrême. On risque un relâchement de la modération qui laisse place à des discours de haine et à des croyances personnelles non vérifiées. On l’a déjà vu sur X, où la suppression massive de modérateurs a entraîné une plus grande visibilité de contenus toxiques.»
Depuis quelques années, Meta avait fait de la vérification des faits un pilier de ses plateformes pour limiter les discours toxiques et la désinformation. Aujourd’hui, Zuckerberg semble vouloir balayer ces efforts pour jouer les bons élèves de l’administration Trump et s’aligner sur une vision proche d’Elon Musk (X). «Ce qui inquiète, c’est l’uniformisation des discours : toutes les plateformes semblent adopter la même rhétorique, alignée sur celle de Musk et Trump. On dirait un agglomérat de messieurs de la tech qui imposent une vision du monde taillée aux standards américains, sans égard pour la diversité des opinions globales.»
Quelles alternatives pour un web plus sain ?
Face à cette dérive, des alternatives décentralisées comme Mastodon et Bluesky attirent celles et ceux en quête d’un espace plus sain. Bluesky, en particulier, connaît un pic d’intérêt. Mais ces plateformes peinent à rivaliser avec les géants du numérique. «On est habitué à recevoir du contenu sur un plateau, grâce aux recommandations algorithmiques», explique Laurence. «J’ai fait tester Bluesky et X à mes étudiant·es. Ils·elles préféraient l’idée derrière Bluesky, mais trouvaient ça trop plate (RIRES). L’absence de publicité et de collecte de données crée un environnement plus sain, sans intérêts politiques ou économiques en jeu. En contrepartie, ça demande un effort actif, contrairement à Instagram ou TikTok, où les algorithmes servent directement des recommandations personnalisées. Cette habitude de consommation passive rend les alternatives décentralisées moins attractives.»
Et la saga TikTok dans tout ça ?
Dans ce grand chamboulement, TikTok n’échappe pas à la tourmente politique. Bloquée aux États-Unis après l’entrée en vigueur d’une loi exigeant sa vente à des acheteurs non chinois pour des raisons de sécurité nationale, la plateforme a été rétablie en moins de 24 heures après un décret présidentiel de Donald Trump. ByteDance, sa société mère, a désormais 75 jours pour trouver un acquéreur (au moment d'écrire ces lignes). Sur X, TikTok a remercié Trump d’avoir évité des sanctions à ses fournisseurs, tandis que les utilisateur·rices américain·es voyaient apparaître le message suivant : «Welcome back! Thanks for your patience and support. As a result of President Trump's efforts, TikTok is back in the U.S.! You can continue to create, share, and discover all the thing you love on TikTok.» Une dystopie bien réelle.
«On remet en question un pilier démocratique fondamental : la justice», laisse tomber Laurence. D’après la doctorante, les réseaux sociaux s’apprêtent à vivre une période chaotique. «Beaucoup de changements s’annoncent, et les prochains mois ne s’annoncent pas joyeux sur les réseaux sociaux», résume-t-elle. L’écosystème numérique est à un tournant: les utilisateur·rices suivront-il·elles les nouvelles règles ou les redéfiniront-il·elles?
En photo : Laurence Grondin Robillard
Crédit photo : Emilie Tournevache