Crises internationales, conflits locaux, catastrophes naturelles: les mauvaises nouvelles saturent nos écrans, et nos esprits. Dans ce brouhaha numérique, les consommateur·rices prennent les commandes et filtrent ce qu’il·elles veulent voir, entendre ou lire. Ce phénomène, reflet d’une fatigue collective, redéfinit les comportements médiatiques et pousse à privilégier des contenus plus apaisants.
Un monde trop connecté, trop pesant
L’usure de compassion, concept introduit par le psychologue Charles Figley, désigne l’épuisement émotionnel et physique causé par l’exposition au traumatisme d’autrui. D’abord étudiée chez les soignant·es, elle touche aujourd’hui un public plus large, constamment exposé à des images de violence et d’injustice via les médias. «N’importe qui peut ressentir une fatigue de compassion», confirme Briana Smith, doctorante à l’Université de Tulane et collaboratrice de Figley dans The Times.
Selon Alex Guimond, VP Connections Planning chez Spark Foundry, cette saturation émotionnelle continuera de s’amplifier. «L’usure de compassion est un phénomène qui s’intensifie, et ce n’est pas près de s’arrêter», affirme-t-il. Il pointe des causes bien ancrées : crises économiques, conflits mondiaux, échos de la pandémie encore présents, et le flux incessant de nouvelles amplifié par les plateformes numériques. Un rapport de l’Institut Reuters de l’Université d’Oxford, dit-il, révèle qu’environ 39 % des gens avouent éviter activement les nouvelles, les trouvant «too much». Une hausse de 3 points par rapport à l’année dernière. Alex souligne même que le blocage des nouvelles par Meta au Canada rend cette fuite médiatique encore plus facile. «Les consommateur·rices veulent reprendre le contrôle, que ce soit pour protéger leur santé mentale ou pour éviter l’effet de surprise des mauvaises nouvelles», précise-t-il. Ce besoin de maîtriser son expérience transforme profondément les habitudes médiatiques. Pas que les gens ne consomment plus les nouvelles, insiste Alex, mais «il·elles choisissent désormais de le faire au moment et dans les conditions qui leur conviennent — quand leur esprit est prêt à encaisser». Une question s’impose: que choisit-on de consommer quand tout semble trop lourd à digérer ?
Le boom des formats choisis et apaisants
Les jeunes en particulier rejettent de plus en plus les contenus imposés par les algorithmes. Dans ce contexte, des formats comme les podcasts, autre tendance forte de 2025, tirent leur épingle du jeu. Intimes, immersifs et éducatifs, ils offrent une alternative aux flux anxiogènes des réseaux sociaux. Contrairement au doomscrolling — cette habitude de scroller frénétiquement sans réel but —, écouter un podcast offre une pause narrative. «On sait dans quoi on s’engage. Un match de hockey, un podcast true crime… le choix est délibéré et réconfortant», observe Alex.
Il ajoute que plus un média permet de répondre à des intérêts précis, plus il s’aligne avec cette tendance. «Des plateformes comme YouTube, TikTok ou Reddit permettent de plonger dans des niches précises, donnant une impression de contrôle et réduisant l’anxiété liée à l’inattendu.»
La vraie surprise? Les slow media. Ces objets rétro et tactiles séduisent les jeunes générations en quête d’authenticité. Qu’il s’agisse de vinyles, d’articles vintage ou de magazines imprimés, ces médias incarnent un retour au tangible, une manière de ralentir et de se reconnecter à soi dans un monde hyperconnecté. «Les vinyles, les CD, et même des activités comme le tricot ou la poterie fascinent les jeunes», remarque Alex. Ce retour aux expériences physiques reflète une envie de ralentir et de se déconnecter. Les marques suivent cette mouvance, proposant des campagnes innovantes et nostalgiques. KFC a transformé ses célèbres barquettes de poulet en vinyles de chansons festives, et Hinge, une application de rencontres, a distribué des livres dans des librairies et bibliothèques pour raconter les histoires d’amour nées sur sa plateforme. «Ces campagnes illustrent parfaitement ce retour aux médias offline, très old-school, qui séduisent de plus en plus.»
Les marques face à l’usure de compassion
Pour naviguer dans ce climat d’usure de compassion, les marques misent sur la prudence et l’authenticité. «La première étape, c’est de lire la pièce», explique Alex. Face à des événements polarisants comme les élections ou les Fêtes, les campagnes sont calibrées pour éviter les polémiques, quitte à mettre certaines pauses stratégiques. «Les marques savent qu’un faux pas peut provoquer un backlash instantané. Elles préfèrent agir avec prudence, surtout dans des contextes sensibles.»
Mais cette retenue offre aussi une opportunité: revenir à l’essentiel. «Au lieu de forcer des messages sociétaux parfois hors contexte, mieux vaut se concentrer sur des propositions simples et pertinentes, comme une nouvelle saveur ou un produit amélioré, conseille Alex. Ce recentrage sur l’essence même des produits devient un levier crucial, notamment pour des secteurs comme la téléphonie ou les services financiers, où la clarté et la fiabilité renforcent la rétention client.»
Alors que la fatigue collective façonne une nouvelle ère médiatique, les marques et médias qui privilégient la simplicité, l’apaisement et des contenus alignés sur les attentes trouveront leur place auprès d’un public lassé, mais attentif.
En photo : Alex Guimont