Il suffit parfois d’une étincelle pour enflammer les réseaux sociaux, où le « cancel », redouté et redoutable, peut frapper fort. Une maladresse, un silence mal interprété et voilà qu’une vague de mécontentement menace la réputation d’une entreprise. Si les grandes marques ont souvent les ressources pour limiter les dégâts, les PME, elles, doivent naviguer dans des eaux plus complexes avec des moyens bien plus modestes. D’où l’importance d’une bonne préparation.
La cancel culture: un risque bien réel pour les PME
Ce phénomène, qui consiste à retirer son soutien à une figure publique ou une organisation pour des actions ou propos controversés, s’appuie sur la viralité des réseaux sociaux pour amplifier les controverses. Si elle touche souvent les multinationales ou personnalités publiques, les PME ne sont pas à l’abri. Prenons l’exemple de BBQ Québec: une publication de soutien à Donald Trump, partagée par le président via le réseau social de l’entreprise, a suscité une vague de critiques et d’appels au boycott. Le cas de Bobba, une entreprise québécoise de thé aux perles, est tout aussi illustratif. Accusée d’appropriation culturelle après son passage à Dragon’s Den, sa réponse tardive et des excuses jugées insincères n’ont fait qu’exacerber la crise.
Ces exemples montrent l’importance d’anticiper et de bien gérer ces situations pour éviter une tempête médiatique.
S’engager ou jouer la carte de la neutralité ?
Faut-il prendre position ou rester neutre dans un monde où chaque action d’une marque peut être scrutée? Les consommateur·rices, surtout les jeunes générations, attendent de plus en plus des marques qu’elles s’engagent sur des enjeux sociaux. Selon Amani Al-Khatahtbeh, fondatrice de Muslim Girl, 72 % de la Génération Z privilégient les marques socialement engagées, et 51 % des millennials sont prêts à payer plus cher pour des entreprises authentiques. McDonald’s et Starbucks, par exemple, ont essuyé des boycotts en raison de leur silence sur le génocide à Gaza, ce qui a fait chuter leur valeur de marché de plusieurs milliards. Comme le souligne Al-Khatahtbeh, «un écart entre les valeurs affichées et les actions réelles est perçu comme une trahison».
Attention toutefois au piège du woke-washing ou du rainbow capitalism : s’approprier des causes populaires sans actions concrètes peut provoquer un retour de flamme. Les entreprises doivent donc s’engager, oui, mais uniquement si leurs actions soutiennent leurs paroles. Un bon exemple est celui de L’Oréal Paris, accusée d’hypocrisie par Munroe Bergdorf après son soutien à #BlackLivesMatter. L’Oréal a réagi en réintégrant la mannequin dans un comité sur la diversité et en réalisant des dons à des organisations inclusives. Cette réponse a été perçue comme un geste sincère.
Prévenir et gérer une crise: mode d’emploi
Selon Mylène Forget, présidente de Massy Forget Langlois relations publiques, «une PME peut identifier trois, cinq, voire dix crises potentielles». Il est donc crucial d’évaluer la probabilité et la gravité de chaque scénario pour prioriser les préparations.
Selon l’experte, les piliers d’une gestion de crise efficace incluent:
- Anticipation: identifier les types de crises possibles en fonction du secteur et d’incidents similaires.
- Planification: créer des plans d’action et désigner des allié·es internes et externes.
- Cellule de crise: inclure une équipe clé composée de RH, de la communication, du juridique et, si nécessaire, de partenaires externes.
- Veille médiatique: surveiller en temps réel les conversations sur les réseaux sociaux et dans les médias pour une réponse rapide.
- Analyse post-crise: après une crise, évaluer la gestion de la situation pour apprendre et s’améliorer pour l’avenir.
«L’important, c’est d’avoir des allié·es identifié·es à l’avance, ajoute Mylène. Ces contacts, qu’il s’agisse de conseiller·ères, d’un réseau d’entrepreneurs ou même de journalistes avec qui vous entretenez de bonnes relations, peuvent faire toute la différence lorsqu’une crise éclate.» Autre point crucial: un·e porte-parole bien formé·e est un atout majeur. «Rien de pire qu’un·e représentant·e improvisé·e qui s’emmêle devant les médias», avertit-elle. Chaque mot doit être précis et aligné avec la stratégie. En cas de barrière linguistique ou d’un manque d’expérience, un partenaire externe peut être envisagé, mais il doit bien connaître l’entreprise. Enfin, des excuses bien formulées et sincères accompagnées de mesures correctives peuvent suffire à restaurer la confiance auprès du public.
Face à une crise, il est tentant de répondre sur tous les fronts, mais une stratégie mal ciblée risque d’aggraver la situation. «Si la critique démarre sur Facebook, répondez-y sur Facebook. Pas besoin de communiqué de presse si la crise reste confinée à un réseau», conseille Mylène.
Émotions contre rationalité: le défi des réseaux sociaux
La gestion des crises sur les réseaux sociaux repose souvent sur la confrontation entre une argumentation émotive, alimentée par les internautes, et une réponse plus cartésienne et factuelle de l’entreprise. «Dans ces espaces, où les émotions dominent, il devient presque impossible de faire entendre des arguments rationnels face à une vague de colère ou de déception. Cependant, une entreprise bien préparée peut s’appuyer sur ses allié·es, qu’il s’agisse de clients ou d’influenceur·euses, pour défendre ses actions», explique Mylène. Des relations solides et authentiques, cultivées en amont, peuvent être décisives, comme «un produit de qualité, une communication respectueuse ou une personnalité bien définie. Lorsque cette automodération est instaurée, l’entreprise peut prendre du recul et laisser ses allié·es prendre la parole à sa place — une situation idéale, qu’il est également possible de préparer.»
Certaines crises, comme celle d’une vidéo où une cliente se plaignait de vers dans son thé au citron, peuvent sembler anodines, mais elles peuvent prendre une ampleur démesurée. «Dans ce cas, il s’agissait simplement de morceaux de citron, et après une explication claire, la situation s’est calmée. Ce cas montre l’importance de répondre rapidement et sincèrement, idéalement avec une vidéo. Un·e expert·e externe peut aussi rassurer le public en confirmant la conformité du produit et le respect des normes», partage Mylène. Cela illustre l’importance d’une communication sincère et directe avec le public pour éviter que les malentendus ne s’enveniment.
La résilience comme mot d’ordre
Une crise peut-elle être l’opportunité pour une marque de rebondir ? Mylène sourit en citant qu’en chinois, le mot «crise» combine les idéogrammes pour «danger» et «opportunité». «Une crise est l’occasion de démontrer son sérieux, de corriger une situation et de montrer qu’on est à l’écoute. Pour les PME, chaque crise peut devenir une opportunité de visibilité, et une gestion efficace peut renforcer leur image.» En ce sens, le storytelling joue un rôle essentiel. «Expliquer pourquoi un problème est survenu, ce qui a été fait pour le résoudre et ce qui sera mis en place à l’avenir peut transformer la perception du public et renforcer la relation avec lui.»
Dans un monde hyperconnecté, l’authenticité reste l’alliée la plus précieuse. Adopter une posture proactive, sincère et empathique est la clé pour non seulement survivre, mais aussi prospérer. «Les entreprises doivent agir comme de “bons citoyens”, en prenant soin de leurs employé·es et du public. Il faut agir selon une “boussole morale”: dans le doute, privilégier l’excès de prudence et ajuster ses actions en conséquence. Le public, sensible aux efforts honnêtes, est prêt à pardonner les erreurs, à condition qu’elles soient reconnues et corrigées avec sincérité», résume Mylène.
En photo: Mylène Forget