Affaires de l'industrie

EDI: les efforts reculent-ils au Québec?

par Émilie Desgagné 14 février 2025

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Dans les dernières années, l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI) sont devenues des enjeux incontournables pour les marques et les entreprises. Plusieurs se distinguent désormais par leur approche inclusive, tant dans le recrutement que dans la représentation à l’écran. Pourtant, alors que certaines honorent leurs promesses, d’autres reculent sur leurs engagements. Aux États-Unis, Harley-Davidson, John Deere, Ford, Lowe’s et maintenant Walmart ont notamment supprimé leurs politiques d’EDI. De notre côté de la frontière, c’est Molson Coors qui a mis fin à certaines de ses politiques de diversité sur les lieux de travail. Qu’est-ce que cela signifie pour l’EDI au Québec? Est-ce le début de la fin pour ces initiatives?

Selon Chloé Freslon, présidente et fondatrice de URelles, on assiste à une récupération de l’EDI par les partis politiques, ce qui influence directement les marques dans leur adoption ou réduction de ces mesures. «Les changements qui sont faits dans les entreprises sont directement liés à l’orientation politique de leurs consommateur·rices», affirme-t-elle. Autrement dit, une marque comme Harley-Davidson n’a pas nécessairement intérêt à promouvoir les droits des personnes LGBTQ+, mettons.
Chloé Freslon
En photo : Chloé Freslon

Mais c’est aussi que l’EDI est en quelque sorte victime de son ascension fulgurante. Il faut l’avouer, au Québec, avant 2020, on était sans doute plus nombreux·ses à penser que l’EDI était un modèle de char qu’un outil de saine gestion d’entreprise. Puis, d’un coup, après le meurtre de George Floyd, les questions d’équité, de diversité et d’inclusion sont devenues un sujet central dans le débat public. Tout le monde voulait faire sa part, et vite. Parfois même trop vite.

«En prenant conscience de l’ampleur des inégalités, de la sous-employabilité et des grandes discriminations vécues par certains groupes, des entreprises ont mis en place des mesures audacieuses sans tenir compte de l’acceptabilité sociale ou des employé·es», constate Chloé Freslon. En conséquence, au fur et à mesure que l’on construit l’EDI, il faut déconstruire les fausses idées que les gens s’en font, comme celles qui prétendent que les immigrant·es nous volent nos jobs et les personnes trans endoctrinent nos enfants.

Parce que même une mesure tout à fait banale pour certain·es peut en déstabiliser d’autres. «Je me souviens du cas d’une manufacture dont l’équipe administrative avait pris la décision d’ajouter les pronoms dans les signatures de courriel, rapporte Chloé. Pour la direction, cela s’inscrivait dans une démarche inclusive, mais pour des employé·es de l’usine, cela arrivait comme un cheveu sur la soupe, sans que la réalité de leur quotidien n'ait été prise en compte.»

Cela montre qu’il est crucial d’avancer ensemble. Plutôt que d’agir précipitamment, les entreprises doivent opter pour des initiatives auxquelles elles croient vraiment, prendre le temps de les expliquer à leurs équipes et de les adapter aux réalités de chacun·e. C’est en faisant l’effort d’accompagner et d’éduquer qu’on peut éviter les insécurités et transformer l’incompréhension en véritable ouverture.

Des signes positifs dans nos agences
Cela dit, tout n’est pas noir. Loin de là. Si certaines entreprises, comme Molson Coors, ont pris du recul, d’autres, notamment les agences, poursuivent leurs efforts. Selon une étude baromètre réalisée par l’Association des agences de communication créative (A2C), les agences du Québec proposent des cultures de plus en plus inclusives. L’étude, menée auprès de 1600 répondants issus de 68 agences, révèle que 71% des répondant·es estiment que leur employeur fait des efforts pour rejoindre, attirer et retenir des talents de divers horizons, réalités et perspectives, contre seulement 42% en 2021. Et, fait intéressant: 19% des répondant·es se sont identifiés comme personnes racisées, contre 10% en 2021, ce qui montre que la diversité au sein de l’industrie est en progression.

Stéphane Mailhiot, président de Havas et du conseil d’administration de l’A2C, se montre optimiste: «Ces données sont très encourageantes, mais il reste beaucoup de travail à faire. L’inclusion doit être une priorité, que ce soit dans le milieu de travail ou dans les produits que nous créons. Les agences ont un rôle culturel et social majeur à jouer.»
Stéphane Mailhiot
En photo: Stéphane Mailhiot

Pour accompagner ses membres, l’A2C a mis en place une série de ressources, comme des conférences, des formations et des documents pratiques. «Ces ressources permettent aux agences de comprendre les enjeux sous-jacents à l’EDI et de mettre en œuvre des solutions adaptées à leur réalité», explique Stéphane. L’A2C a également identifié des groupes de soutien, prêts à accompagner les agences dans leurs projets de diversité interne ou dans le cadre de campagnes plus inclusives.

Une approche créative et rassembleuse : le projet Inklusive de Dentsu
L’un des exemples les plus réussis d’initiative en matière d’EDI est le projet Inklusive de Dentsu Canada. Marème Touré, vice-présidente, équité, diversité et inclusion chez Dentsu, raconte que l’objectif principal de cette initiative était d’encourager les employé·es à partager volontairement des informations sur leur identité (origine ethnique, genre, orientation sexuelle, handicap, etc.) afin de recueillir des données permettant de mesurer les progrès réalisés en matière de diversité au sein de l’agence.

Mais après un an, seulement 40% des employé·es avaient participé, un taux jugé insuffisant. «On a réalisé qu’il fallait faire plus que simplement demander des informations. Il fallait impliquer les employé·es de manière plus créative», explique Marème Touré. C'est ainsi qu’est né le projet Inklusive : une campagne publicitaire interne visant à sensibiliser les employés à l’importance de la diversité en leur permettant de partager des objets symboliques représentant leur identité culturelle ou personnelle. Ces objets ont été utilisés pour créer une encre spéciale et chaque personne a reçu un stylo portant l’encre créée à partir de ces objets. Le projet a permis de dépasser les attentes: le taux de participation est passé à 81%. Mieux encore, il a renforcé le sentiment d’appartenance au sein de l’équipe.

De la parole aux actes
Alors, les efforts EDI reculent-ils au Québec? Pas vraiment. Bien que certaines entreprises aient mis un frein à leurs initiatives, il est clair que beaucoup d’agences publicitaires poursuivent leurs efforts, souvent de manière plus créative et réfléchie. Comme le rappelle Stéphane Mailhiot, «il ne suffit pas de mettre en place un programme sans consulter ceux qui en sont directement concernés.» L’inclusivité, c’est avant tout une question d’écoute et de dialogue. Il faut que les voix des communautés concernées soient entendues, et pas seulement au sein des comités, mais dans les actions concrètes.

Et c’est là que l’espoir réside. Comme le souligne Chloé Freslon, on n’est plus dans la phase de découverte de ce qu’est l’EDI. Aujourd’hui, c’est «OK, maintenant on fait le travail». Les entreprises commencent à passer de la parole aux actes et cela se reflète dans leurs démarches plus structurées et plus inclusives. L’EDI n’est plus seulement une mode ou un simple levier de communication: c’est un véritable moteur de changement.
 

 

 

 

 

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