L’importance du sponsoring sportif a considérablement évolué au fil des années. Ce qui était autrefois un simple moyen de financement est devenu aujourd’hui un outil stratégique indispensable pour les entreprises cherchant à accroître leur notoriété et à maximiser leur retour sur investissement. Les Jeux Olympiques de Paris 2024 sont un excellent exemple de cette transformation. Si l’on se fie aux analyses du journaliste du Forbes, Mathieu Sollier, « les sponsors jouent un rôle crucial dans le succès des Jeux Olympiques. De Coca-Cola à Samsung, en passant par LVMH pour Paris 2024, les partenariats stratégiques ont permis aux marques de bénéficier d’une visibilité mondiale et de retombées économiques significatives. » Mais de quelles retombées économiques parlons-nous, au juste ? Et que s’est-il passé pour que le sponsoring sportif devienne un levier incontournable pour les marques ?
L’évolution du sponsoring sportif : de la tradition à l’innovation
Il faut dire d’abord qu’au cours des deux dernières décennies, le paysage du marketing sportif a profondément changé, passant d’une approche traditionnelle à une vision complètement remodelée par l’intégration des nouvelles technologies. En effet, à ses débuts, le sponsoring se concentrait principalement sur des accords de visibilité : les marques apposaient leur logo sur les maillots des athlètes ou autour des terrains de jeu pour maximiser leur exposition. Aujourd’hui, les marques ne se contentent plus d’une simple visibilité mais cherchent à créer des expériences immersives et engageantes pour les fans. Selon Jay Hébert, président et cofondateur d’Elevent, l’évolution du sponsoring sportif au cours des deux dernières décennies a été marquée par une diversification significative et une adaptation aux nouvelles réalités du marché. « L’utilisation du sport en commandite demande toujours la part du lion des investissements au Canada, représentant entre 60 et 70 % des investissements, ce qui est moins qu’aux États-Unis mais demeure très significatif », explique-t-il.
Le cofondateur d’Elevent indique par ailleurs qu’autrefois concentrés sur des sports dominants comme le hockey, le baseball et le soccer, ces investissements sont désormais répartis sur une variété de disciplines, y compris le sport féminin et les sports électroniques (e-sports), reflétant une fragmentation accrue de l’industrie. De plus, « les propriétés sportives sont maintenant des médias avec une portée significative sur une vaste panoplie de plateformes de diffusion, que ce soit la télé, le streaming ou les médias sociaux », ce qui permet aux marques de toucher un public mondial au-delà des frontières géographiques traditionnelles. Toujours selon Jay Hébert, l’émergence de la responsabilité sociale d’entreprise (RSE) dans le sponsoring sportif ajoute quant à elle une nouvelle dimension aux attentes des fans, qui souhaitent voir les équipes avoir un impact positif sur leurs communautés, en se concentrant sur des enjeux tels que la santé, l’éducation et le bien-être mental. « Cette évolution vers une approche plus fragmentée et socialement consciente du sponsoring sportif démontre comment l’industrie s’adapte aux nouvelles attentes des consommateur·rices et à l’importance croissante des plateformes numériques. »
Les technologies numériques se mêlent au sponsoring sportif
En plus de cette fragmentation, l’intégration des nouvelles technologies a également contribué à radicalement changer la donne pour les sponsors sportifs. Prenant pour exemple sa propre entreprise, Jay Hébert explique qu’Elevent utilise depuis huit ans l’intelligence artificielle pour analyser la présence des marques à la télévision et sur les réseaux sociaux, précisant que « cette approche nous permet d’amplifier l’engagement des fans et d’offrir de nouvelles expériences interactives. »
À ce propos, les investissements importants dans des écosystèmes sportifs augmentent aussi. « L’avènement de nouvelles technologies tel le streaming, par exemple, bonifie vraiment l’expérience des fans. À ce titre, il n’est pas rare de voir des investissements d’un milliard dans la construction d’un stade sportif de large envergure en raison, notamment, des équipements technologiques requis pour rencontrer les attentes des fans. »
La volatilité de l’audience vient également changer la donne dans le domaine du sponsoring. En effet, les marques doivent désormais prendre en compte que les méthodes et canaux de visionnement et de consommation du sport sont multiples. Ces quelques innovations ont non seulement permis de rendre la relation entre les fans et les marques plus interactive, mais elles ont également donné aux consommateur·rices le pouvoir de choisir comment ils et elles consomment le contenu de leurs équipes favorites. En créant de nouveaux modèles d’engagement, les technologies numériques ont ouvert la porte à une multitude de possibilités d’interaction pour les sponsors, rendant l’expérience plus immersive et personnalisée.
L’impact limité de l’e-sport et du « sportainment » sur les stratégies de commandites
Fait intéressant : la popularité des e-sports en Amérique du Nord a connu une croissance remarquable ces dernières années. Juste au Canada, on estime que le marché des e-sports en 2024 atteindra 138,9 millions USD, le pays se classant au dixième rang mondial pour les revenus liés aux jeux vidéo. Pourtant, bien que l’e-sport et le sportainment aient gagné en popularité au niveau mondial, leur impact sur les stratégies de sponsoring traditionnel reste encore à ce jour limité. Jay Hébert note que les marques peinent à établir une présence crédible dans l’univers du gaming, principalement en raison de l’intégration encore trop traditionnelle des sponsors dans cet espace. « Les marques ont de la difficulté à être crédibles dans l’environnement du gaming. L’intégration des marques reste traditionnelle, et le marché canadien est relativement petit », mentionne-t-il.
Il semble donc que, malgré son potentiel, les e-sports n’ont pas encore réussi à transformer en profondeur les pratiques traditionnelles de sponsoring, du moins dans le contexte nord-américain. Cependant, les progrès technologiques et la croissance continue du secteur pourraient bien ouvrir de nouvelles opportunités dans un avenir proche.
L’évolution des attentes envers le sponsoring sportif
Il n’y a pas que les technologies et le marché qui ont évolué : les attentes des consommateur·rices vis-à-vis des sponsors sportifs ont considérablement changé elles aussi. À en croire l’expert en stratégie sportive d’Elevent, les fans d’aujourd’hui ne se contentent plus d’une simple visibilité de la marque ; ils recherchent une relation plus engageante et authentique avec les sponsors. « Ce qu’on remarque en termes d’attentes, c’est que la RSE est certainement l’un des facteurs les plus importants qui s’est développé chez les fans. »
Ainsi, les fans souhaitent que les marques s’impliquent dans des causes sociales significatives et contribuent positivement à la communauté. À titre d’exemple, dans une étude (Perspectives 2024) menée par Elevent, l’agence a constaté que les propriétés sportives qui soutiennent la santé, l’éducation et le bien-être mental sont perçues très favorablement par le public canadien. « Les fans ne cherchent pas consciemment d’avoir une relation plus engageante avec les marques et cette relation varie grandement selon le contexte, précise Jay Hébert. La présence des marques ne peut être pareille dans un contexte de match de hockey versus un concert de l’OSM à titre d’exemple. À nouveau, les fans ont des attentes très concrètes, nous mesurons l’impact des propriétés sportives sur les comportements des fans. À titre d’exemple, 27 % des fans de l’Omnium Banque Nationale vont s’efforcer de faire des achats auprès de marques qui sont partenaires de l’événement. C’est 23 % pour le Grand Prix du Canada et jusqu’à 36 % pour les fans du FC de Toronto. C’est assez significatif. »
L’essor du sport professionnel féminin : un nouveau terrain fertile pour le sponsoring
Intelligence artificielle, e-sports, évolution du streaming, et potentiellement développement de la réalité virtuelle… Les horizons du sponsoring sportif semblent prometteurs. Mais ces nouvelles possibilités ne semblent pas se réduire simplement aux sports masculins, comme le souligne Jay Hébert.
En effet, l’évolution du sponsoring sportif se dirige désormais vers de nouvelles possibilités offertes par le sport professionnel féminin. Si l’on se fie aux observations du cabinet de conseil en sponsoring de marque Lumency, « le sport professionnel féminin est un produit passionnant qui attire un large public et qui a atteint une étape critique de son développement, avec une augmentation significative de l’intérêt et des audiences. »
Plus encore, selon le rapport Women in Sports Marketing Partnerships 2023‑24 de SponsorUnited, le nombre de contrats de sponsoring dans le sport féminin a augmenté de plus de 22 % entre 2023 et 2024. Cette croissance s’observe à travers de nombreuses ligues professionnelles féminines, y compris des associations majeures comme la LPGA (Ladies Professional Golf Association) et la WTA (Women’s Tennis Association), qui ont toutes deux dépassé les 1000 accords de sponsoring chacun. Cet engouement pour les équipes féminines est bien senti. Plusieurs marques canadiennes s’engagent de plus en plus dans le sponsoring d’équipes sportives féminines. Par exemple, Canadian Tire s’est engagé à ce qu’au moins 50 % de son budget de sponsoring dans le sport professionnel soit alloué aux sports féminins d’ici 2 026, marquant une étape importante vers l’équité de genre dans le domaine du sport professionnel au Canada. En repensant aux Jeux Olympiques de Paris, si la délégation canadienne a passé à l’histoire en récoltant 27 médailles, c’est bien grâce aux incroyables performances des athlètes féminines qui en ont remporté 17. Voyant également l’engouement autour de la jeune Summer McIntosh, dont les prouesses ont fait le tour des réseaux sociaux et des médias, il semble clair que le sport féminin gagne en notoriété et que les marques ont tout intérêt à se tourner vers les athlètes féminines.
En fin de compte, l’évolution croissante du sponsoring sportif montre qu’il est bien plus qu’une stratégie de visibilité. C’est un partenariat stratégique qui, lorsqu’il est bien exécuté, peut transformer l’image d’une marque et renforcer son lien avec les consommateur·rices du monde entier. Car comme le souligne Jay Hébert, le succès des marques réside désormais dans leur capacité à créer des expériences engageantes et authentiques, établissant des connexions durables avec leur public.