Robots recruteurs, usage de deepfakes lors d’entretiens virtuels, tricherie à des tests d’embauche: l’intelligence artificielle dans le recrutement et la recherche d’emploi soulève bien des inquiétudes. Pourtant, les spécialistes de l’acquisition de talents Sandrine Théard, fondatrice de Les Sources Humaines et formatrice agréée, ainsi qu’Alexandre Simon, conseiller en recrutement chez Grenier aux talents, nous montrent qu’il est possible d’utiliser l’IA de manière judicieuse et bénéfique.
Optimiser le processus de recrutement
Comme dans tous les domaines, l’IA peut servir à automatiser les tâches chronophages et répétitives à des fins d’optimisation des processus. Dollarama, par exemple, a utilisé la plateforme québécoise AppyHere pour gérer son taux de roulement élevé. Selon le site de Tru Montréal, l’entreprise a rapidement recruté plus de 2000 personnes avec seulement quatre recruteur·ses grâce à un processus entièrement automatisé: les candidat·es remplissaient un formulaire en ligne et les recruteur·ses n’avaient qu’à approuver ou refuser les candidatures.
Alexandre Simon explique: «AppyHere a permis à Dollarama de recruter massivement sans intervention humaine directe. Les détails de l’emploi étaient communiqués automatiquement aux candidats retenus.» La solution d’Appyhere a donc permis de répondre au besoin criant de personnel non qualifié de Dollarama en pleine pénurie de main-d’œuvre.
Pour les talents spécialisés, l’IA peut améliorer les processus de recrutement de manière plus personnalisée. Alexandre Simon parle entre autres de systèmes combinant des outils comme Firefly, Make et ChatGPT qui permettent d’organiser et de structurer les notes d’entrevue en deux minutes, au lieu de trente. Cette efficacité libère du temps pour une recherche plus approfondie des candidat·es.
Les spécialistes du recrutement peuvent aussi recourir à l’IA pour des tâches plus créatives, comme la création de contenu et la rédaction. Cependant, pour obtenir le résultat escompté, les spécialistes doivent bien maîtriser leur sujet, prévient Sandrine Théard. «L’intelligence artificielle générative peut aider à rédiger des questions d’entretien liées à une compétence précise, par exemple, mais la personne qui l’utilise doit être en mesure d’évaluer la pertinence des questions générées.»
Automatiser le tri des CV (mais attention aux biais!)
L’automatisation n’est pas sans risques. Dans les dernières années, elle a d’ailleurs révélé l’un des principaux défis de l’IA: la présence de biais. Un exemple marquant est celui de l’outil de tri des CV d’Amazon qui a fait les manchettes en raison de discrimination envers les femmes. Le système, conçu pour évaluer les candidatures sur une échelle de 1 à 5, pénalisait systématiquement les CV contenant les termes «femmes» ou les noms d’universités réservées aux femmes.
Sandrine Théard insiste sur la nécessité de tester les biais des systèmes avant leur utilisation. « vant de mettre en place l’IA, il est crucial de vérifier ses biais pour éviter des discriminations non voulues», souligne-t-elle.
Ouvrir les horizons des candidats et candidates
Il n’y a pas que les spécialistes du recrutement et les employeurs qui exploitent de plus en plus le potentiel de l’IA: les candidat·es en découvrent aussi les avantages, ce qui mène parfois à des débordements…
«On commence à voir des individus qui se font passer pour d’autres en entretien virtuel ou qui utilisent la fonction de commande vocale de l’IA générative pour obtenir des réponses aux questions d’entretien», admet Sandrine Théard qui n’y voit cependant pas que du négatif. Elle souligne plutôt que ce genre de situation rappelle l’importance des rencontres en personne.
En revanche, l’IA peut simplifier considérablement le processus de candidatures. Aux États-Unis, des plateformes comme LazyApply, Sonara et AIApply permettent de postuler à des centaines d’emplois en même temps en entrant simplement ses informations personnelles et son CV. Efficace, pense Sandrine Théard. «Personne n’aime candidater, affirme la spécialiste. Si l’intelligence artificielle peut accélérer le processus, aider les gens à rédiger de meilleurs CV ou les exposer à des possibilités auxquelles ils n’auraient pas été exposés autrement, c’est tant mieux.»
Sans s’opposer à l’arrivée de ce type de solutions, Alexandre Simon exprime néanmoins des réserves «Quand un employeur appelle une personne ayant postulé via un système automatisé et que celle-ci n’a aucune idée de quelle entreprise ou de quel poste il s’agit, disons que la relation démarre drôlement!»
Dans un contexte où plus des deux tiers des professionnel·les accordent une importance primordiale aux valeurs de l’entreprise, une telle automatisation peut effectivement s’avérer hasardeuse, autant pour les candidat·es que pour les employeurs.
«La plateforme ne peut pas vérifier la comptabilité des valeurs. Le risque, c’est qu’on se retrouve avec des gens qui acceptent des emplois en attendant d’en trouver un autre qui leur convient mieux, ce qui peut nuire à leur image. Pour les employeurs, qui investissent dans la formation de leur personnel, c’est parfois une perte de temps et d’argent.»
Cependant, Sandrine Théard estime qu’un entretien ne doit pas servir à évaluer la prestation d’une personne, mais bien à évaluer son potentiel. «L’important, c’est d’avoir quelqu’un qui est motivé à travailler. C’est ensuite à nous de le convaincre de le faire chez nous et de rester.»
Ramener l’humain au cœur des ressources humaines
Il ne fait aucun doute que l’intégration de l’IA dans le recrutement et la recherche d’emploi marque le début d’une transformation profonde du secteur.
«En optimisant notre temps et en nous permettant de déléguer les tâches moins intéressantes, l’IA va redéfinir notre rôle et nous donner l’opportunité de nous concentrer sur des tâches plus stratégiques», conclut Alexandre Simon qui voit cette évolution d’un bon œil.
Sandrine Théard ajoute que les profils recherchés évolueront également. «Avec l’IA, les compétences techniques seront moins valorisées puisque l’IA peut pallier les lacunes. Les recruteurs et recruteuses devront se concentrer davantage sur les soft skills, comme l’intelligence émotionnelle, qui sont plus difficiles à évaluer, mais cruciales pour le succès à long terme.»
Tout ce qu’il y a de plus humain, finalement.
Sandrine Théard et Alexandre Simon