La perte d’un client n’est jamais quelque chose qu’on souhaite sur son parcours en tant qu’entrepreneur. e ou équipe. Pourtant, c’est un événement qui arrivera tôt ou tard et c’est pour cette raison qu’il est important d’avoir de bonnes stratégies de rebonds afin d’aller de l’avant malgré la perte que cela peut engendrer. Le Grenier s’est entretenu avec trois entrepreneurs.es dans le but de connaître leurs stratégies face à la terminaison d’un compte client important. Ainsi, Jean-François Renaud, associé et cofondateur chez ADVISO, Daniel Matte, associé fondateur de Tact conseil et Manon Goudreault, présidente à l’agence Dada, ont tous accepté de partager avec le Grenier comment se passe le départ d’un client au sein de leur agence.
Selon votre expérience en tant que fondateur/présidente d’agence, qu’est-ce qui peut mener à une perte de client ?
Daniel Matte : Il y a deux principales raisons pour lesquelles un client pourrait terminer une relation avec l’agence. La première concerne des changements hors de notre portée et qui sont du côté du client. On peut notamment penser à une restructuration interne, à de nouveaux appels d’offres, etc. La seconde raison est à mon avis de notre responsabilité. Le client nous quitte peut-être parce qu’il est insatisfait ou parce qu’il a rencontré trop de changements au sein de notre équipe ou encore parce qu’il a peut-être vécu une mauvaise communication.
Jean-François Renaud : Il y a plusieurs facteurs, à mon avis, qui font qu’une relation client prend fin. Parfois, c’est tout simplement l’usure de la relation, mais ça peut aussi être une mauvaise performance de notre part ou encore des changements de garde du côté du client qui amène les nouveaux décideurs à soumissionner ailleurs. Il se peut également que le client choisisse d’internaliser des compétences et de remplir le mandat qui nous était confié à l’interne. Des fois, c’est aussi parce que nous avons fait des erreurs, ou parce qu’il y a une perte de contact avec le client, par exemple, on peut penser à une agence ou une entreprise dont l’équipe bouge beaucoup et se renouvelle d’un coup, on sait que ce genre de changements ne sont pas toujours bénéfiques pour la relation client.
Manon Goudreault : Parfois, c’est purement une question de gouvernance ou de saines pratiques de gestion. D’autres fois, c’est parce qu’on est allés au bout de la relation… comme dans un couple ! Des fois, c’est une question de fit, ou encore c’est le client avec qui on collabore qui change. Au fond, c’est important de regarder dans le rétroviseur et de se questionner sur ce qui s’est passé pour y voir plus clair et surtout pour en retirer du positif, malgré tout.
Justement, que doit-on tenter de comprendre lorsqu’on cherche à faire le bilan de la situation ?
Daniel Matte : Si un client vient à nous quitter, c’est très important pour nous de faire un post mortem et de se poser la question : pourquoi est-il parti ? Le but étant d’apprendre de cette expérience et surtout de ne pas répéter les mêmes erreurs, advenant le cas que nous soyons la cause du départ. Nous envisageons aussi le post mortem comme une partie importante de notre processus d’amélioration. On s’interroge à savoir si nous sommes allés au-delà des besoins du client ou si nous avons été proactifs tout au long de notre relation avec ce client. C’est sur ces réflexions que nous basons notre processus d’amélioration constant.
Jean-François Renaud : La première chose pour nous, c’est d’être transparent et de faire un vrai post mortem. Dans les faits, nous essayons au mieux de nos capacités de ne pas perdre le client en montrant notre volonté de comprendre la situation. Bien entendu, ça s’applique quand les circonstances qui entourent le départ nous concernent, autrement, si la raison du départ est géographique ou interne, on fait un post mortem, mais on ne va pas aussi loin dans l’introspection. Il peut arriver qu’on envoie des gens de l’équipe pour discuter avec le client sur les vraies raisons du départ, tout ça dans le but de creuser, de comprendre et d’agir dans l’avenir, suite au feedback reçu. C’est important de le souligner aussi, mais si le client nous quitte parce qu’il internalise les compétences, alors on propose notre aide dans le développement de ce nouveau projet. On essaie de s’engager jusqu’au bout et de la relation et de toujours offrir nos services. La relation cordiale tient beaucoup à la manière dont on se quitte et pour cela, on croit que c’est en étant utile et proactif que le client aura un bon souvenir de nous. Sinon, le post mortem sert à nommer les bobos de notre côté. C’est pourquoi il faut prendre ce qui nous revient et chercher le positif dans la situation : la réalité, c’est qu’en perdant un client, nous sommes experts dans un domaine qui est maintenant à réinvestir. Nous allons chercher beaucoup de motivation dans le rebond, parce qu’il ne faut pas que la perte d’un client nous démoralise.
Manon Goudreault : Nous pensons que c’est sain de se permettre de mettre fin à une relation. C’est assez fréquent de penser que ça vient du côté du client, mais ça peut aussi venir du côté de l’agence. C’est comme dans un couple, on regarde la situation avec du recul et on se demande, est-ce que c’est brisé, ou est-ce que c’est réparable ? Il y a des signes qui nous permettent aussi de comprendre que ça s’aligne vers une terminaison avec le client. Nous avons pris l’habitude de faire un rituel, puisque nous célébrons quand nous gagnons, nous célébrons également quand nous perdons.
Parce que, même dans la perte et le négatif que ça engendre, on doit, en tant qu’équipe, se souvenir de ce qui a été fait de bon. C’est précisément nos bons coups qu’on doit féliciter. Plus particulièrement, on se demande si nous avons travaillé en fonction de nos valeurs et ça nous permet de renforcer nos chances de succès pour la prochaine fois. Surtout, on ne passe pas au prochain appel rapidement, on prend le temps de se questionner, de regarder dans le rétroviseur avant d’avancer.
Avez-vous une (ou plusieurs) stratégie(s) de rebond face à la perte d’un client ?
Daniel Matte : La meilleure stratégie pour nous, c’est de transformer la perte d’un client en une occasion de démarcher un nouveau client dans le même secteur. Nous avons fait beaucoup de travail pour servir ce client, nous avons dû comprendre l’écosystème de son marché, connaître ses compétiteurs et surtout envisager ses courbes de croissance marketing. Cette expertise n’est pas perdue et surtout peut absolument nous servir d’opportunité. C’est pourquoi une de nos stratégies de rebond est de rebondir rapidement et de se concentrer sur le démarchage de nouveaux clients dans le même domaine.
Jean-François Renaud : La stratégie de notre côté est de mobiliser l’équipe à travers de nouveaux projets. Leur moral peut être gravement affecté par la perte d’un client, alors on se concentre à remonter leur motivation en agissant sur les éléments du post mortem. Par exemple, on crée un comité qui travaille à améliorer un processus sur les procédures, si nous avons remarqué que certaines de nos procédures n’étaient pas optimales. Autrement dit, on tente d’investir l’équipe dans la gestion des solutions.
Manon Goudreault : On s’assure d’avoir une entrevue de départ avec le client. C’est une chose importante pour nous puisque la stratégie et le regard critique que nous allons porter sur la situation dépendent un peu du feedback du client. Il faut aussi comprendre et faire la part des choses : le monde du marketing est très féroce et c’est un milieu où tu gagnes et tu perds constamment. C’est la même chose quand nous n’obtenons pas un client suite à un pitch. Nous nous arrêtons sur les bons coups, parce que le client n’a pas refusé nos services parce que nous n’avons pas travaillé fort sur le projet… Et tout ce travail investi, c’est important de le souligner. Dans le cas de la perte d’un client, on prend le temps de consulter l’équipe et de leur demander de repasser les principales réalisations avec ce client, ce dont ils sont fiers et ce qu’ils ont aimé.
Finalement, diriez-vous qu’il est important de conserver une relation cordiale avec le client ? Comment gérez-vous le départ avec ce dernier ?
Daniel Matte : Idéalement, on essaie de rester en contact, parce qu’un client peut partir et revenir pour toutes sortes de raisons. Nous tentons toujours de maintenir un contact. Entendons-nous, ce n’est pas à la même fréquence que lorsqu’il était notre client, mais nous faisons signe de vie parfois. On veut surtout s’assurer que le client perdu se rappelle la qualité de nos services : nous démontrons, en gardant le contact, que nous avons de l’initiative, que nous n’attendons pas nécessairement que la commande entre. À la fin de la journée, c’est le contact humain qui fait la différence, c’est la relation humaine entre l’agence et le client qui est très importante.
Jean-François Renaud : Oui, il faut rester en bon terme. Pour nous, c’est d’aller plus loin et de voir si nous pouvons être encore utiles au client, et ce, jusqu’au bout de la relation. Et c’est cohérent avec notre manière de fonctionner : nous sommes très proactifs avec les clients et nous envoyons régulièrement des sondages de satisfaction dans le but de créer un rythme de communication et surtout dans le but de s’ajuster rapidement quand quelque chose nous échappe.
Manon Goudreault : Oui. C’est important de parler sans filet pendant l’entrevue de départ. Malgré la bonne relation que nous voulons garder avec le client, il y a toujours une part de non-dit. C’est important pour nous de les connaître et de parler en toute transparence avec le client. Ultimement, nous voulons apprendre de cette terminaison pour mieux rebondir. Mais c’est aussi l’occasion de faire un mea culpa et de se quitter sainement, à mon avis.