On échange très souvent entre collègues, entre amis. L’humain est un être relationnel. Et un être qui parle. Qui aime être entendu. Mais est-ce qu’on se comprend toujours ?

parler 1Lorsque je parle, je jette une bouteille à la mer.

Je lance une bouteille à la mer
Pourquoi, en entreprise comme dans la vie de tous les jours, est-ce parfois si difficile de s’entendre ? Comment expliquer que l’on peine à être compris d’un collègue qu’on côtoie depuis des années ? Souvent même de nos proches ?

Comment se fait-il que, parlant la même langue, on ait l’impression de parler martien à un terrien ? Qu’entre personnes ayant un vocabulaire précis, tout ne soit pas gagné d’avance ? Que le choix des mots justes ne suffit pas à construire un échange de qualité ?

Quand je parle à l’autre, je lance une bouteille à la mer. Avec tout ce que je suis, ce que je sais, ce que je ressens à ce moment-là.

Et ce n’est pas parce que je parle que je communique bien.

Ce n’est pas non plus parce qu’on m’entend qu’on me comprend.

Pour revisiter divers aspects de la communication, laissons parler quelques experts que j’affectionne. Ils en ont eu plein les oreilles, ils ont réglé des tas de situations critiques, et leur regard est aiguisé.

C’est avec tous ses sens grands ouverts que Luc-Antoine Malo entre en jeu. Son œil est exercé. Il nous rappelle ici les mécanismes de l’échange et ce qui en découle.

Les gens pensent qu’ils se comprennent, alors qu’il n’en est rien !

parler 2Le système neuronal permet des milliards de connexions entre informations, sensations et souvenirs

À la base de beaucoup de problèmes, il y a que les gens pensent qu’ils se comprennent, alors qu’il n’en est rien.

D’un point de vue humain et neuronal, c’est d’ailleurs presque impossible ! Pourtant, chacun croit que les concepts qu’il présente sont clairs. Chacun croit qu’ils le sont aussi pour l’autre, pour les autres, alors que ce n’est pas le cas.

C’est un peu complexe à saisir au départ, mais lorsque nous devenons conscients que nous ne nous comprenons pas — et pourquoi —, les moyens pour arriver à mieux nous comprendre sont heureusement plutôt simples. Les neurosciences expliquent bien ce phénomène. Voici comment.

Chacune des informations captées par notre cerveau — mot, ton, débit de voix, geste, attitude corporelle, etc. — est d’abord perçue par l’un de nos sens : visuel, auditif, kinesthésique, olfactif ou gustatif. C’est notre système de perception. Nous intégrons ensuite l’information en nous en créant une représentation interne — un film, une image, une bande sonore — qui devient l’essence de notre compréhension de ce qui a été dit, fait, compris.

Si tout était parfait, ce serait simple et tout le monde aurait la même information et la même compréhension. Dans les faits, c’est dans le transfert d’information entre notre système de perception et notre système de représentation interne que tout se perd. Ce phénomène repose sur trois facteurs, qui sont autant de sources d’incompréhension :

  • les mots et leurs différentes significations pour chacun ;
  • les filtres liés à nos mémoires personnelles et uniques ;
  • certaines limites d’attention qui nous font omettre ou sélectionner l’information transmise et généraliser des concepts, ce qui entraîne des distorsions de la réalité.

Les mots et la signification que je leur donne

parler 3Avec des lettres, on fait des mots et ces mots sont reçus différemment par chacun

Pour nous parler, nous utilisons un code, des mots auxquels nous attribuons des étiquettes linguistiques et qui nous servent à nous exprimer.

Notre compréhension commune serait plus facile si nous vivions dans un monde parfaitement concret et si chacun des mots que nous utilisons était perceptible avec nos cinq sens : une table, une pomme, une auto… Tous ces mots ont une représentation réelle. Nous voyons des tables, nous mangeons des pommes, nous conduisons une automobile. C’est concret.

Les choses se compliquent lorsque nous utilisons des verbes, des mots abstraits qui peuvent susciter des centaines, voire des milliers de réactions et de comportements. C’est aussi le cas lorsque nous utilisons des mots qui n’ont de sens que pour nous ou qui sont le reflet d’une interprétation personnelle.

— Peux-tu le faire ?
— Faire quoi, exactement ? Avec quel niveau de précision ?
Ou encore :
— Il est important que nous nous respections.
— Oui, je veux bien, mais qu’est-ce que le respect pour toi ?

Donc, les mots et leurs différentes significations sont la première source d’incompréhension. Et ça se complique lorsque s’y entremêle notre histoire personnelle.

Nos histoires et références uniques
Dans la communication, il y a deux pôles : l’émetteur et le récepteur. Chacun utilise des mots qui résonnent chez l’autre avec, comme nous l’avons vu, un sens qui peut être différent pour l’autre.

Le récepteur utilise ses propres références pour tenter de comprendre ce que dit l’émetteur. Dans ce court instant, il fait appel à ce qu’il voit et entend au moment présent. Il cherche à rattacher cette information aux connaissances qu’il a acquises dans le passé, et il se demande ce qu’il doit faire de cette information dans le futur.

Nos références du passé
«Pensez-vous que nous avons les mêmes références pratiques et théoriques pour réaliser notre travail?» Dans cet exemple, l’émetteur utilise ses propres références pour expliquer ou donner une consigne alors que les deux personnes n’ont pas les mêmes bases. Incompréhension assurée.

Le moment présent
Voici un exemple de dialogue intérieur: Pendant que tu me parles, je me réfère à ce qui a été dit en réunion ce matin. Ai-je bien compris? Je ne veux surtout pas perdre la face devant toi et avoir l’air de ne pas comprendre. C’est plus facile de faire oui de la tête. Je me dis que je trouverai bien des explications plus tard.

Pendant ce court laps de temps, le récepteur a raté deux phrases clés du message.

Le futur
Toujours en dialogue intérieur : Pendant que tu me parles, je ne peux m’empêcher de penser à cet autre travail que j’ai à remettre pour midi. Je me demande comment je vais y arriver.

Et tout ça se passe pendant que l’émetteur s’adresse à lui. Donc, le récepteur construit sa compréhension du message à partir des portions captées. Ici, il y a une grande partie de la conversation que le sujet n’a pas entendue, et cela vient complètement changer le sens du message reçu. Il risque fort de ne pas avoir capté exactement ce qu’on voulait lui dire.

Nos innombrables filtres

parler 4La distortion est induite par nos sens et par notre histoire personnelle

Nos filtres nous poussent à sélectionner et à omettre inconsciemment certaines informations. Nous avons aussi tendance à généraliser pour faciliter notre compréhension, pour classer l’information et lui donner un sens. Finalement, notre créativité et notre aptitude à la distorsion nous permettent d’imaginer et de forger notre propre réalité.

Le dialogue intérieur se poursuit : Et à la fin de la conversation, toi l’émetteur, tu me demandes si j’ai compris. Je te dis oui, parce que j’ai compris quelque chose de ce que tu as dit. Je pense que c’est ça, sans en être tout à fait certain. Mais il vaut mieux qu’il en soit ainsi. Comme ça, je vais pouvoir passer à autre chose.

Que puis-je faire pour être mieux compris ?
Ouf ! Et nous ne sommes encore que deux à échanger ! Nous reviendrons prochainement sur les échanges de groupe, notamment en entreprise. Au cœur du travail en équipe.

En attendant, soyons attentifs à nos échanges à deux. Au minimum :

  • Vérifions si nous avons bien choisi le moment pour l’autre. Ce n’est pas parce que je suis prêt et disponible que l’autre l’est.
  • Choisissons nos mots, notre message. Le bleu auquel je pense n’est peut-être pas le bleu que l’autre imagine.
  • Vérifions ce que l’autre a compris. S’agit-il d’une consigne importante ? Rien ne remplace la question directe. Demandons-lui !
  • Donnons-lui la chance de s’exprimer. Qu’en penses-tu ? Comment vois-tu ça ?
  • Et accueillons-le avec nos cinq sens, notre fabuleux système de perception. Je te reçois 5 sur 5. Tu m’apportes un nouvel éclairage. Tu enrichis la discussion.

Cet article est tiré d’un ouvrage en préparation, Isabelle QuentinCommuniquez. Rayonnez. Prospérez, rHévolution, 2024. Une première version de cet article a été publié sur son blogue.