Avec l'amorce de la campagne électorale provinciale, nous avons demandé à trois publicitaires de donner leur opinion sur les slogans choisis par les différents partis politiques.
Les publicitaires qui se sont prêtés au jeu sont: Hughes Chandonnet (H.C.), directeur de création chez Hubrid, Frédéric Proulx (F.P.), associé principal et président chez Dig marketing et Mathieu Bédard (M.B.), président de Défi communication marketing.
Parti Québécois: «Plus prospère, plus fort, plus indépendant, plus accueillant»
Image tirée de la page Facebook du Parti Québécois.
H.C.: En 2012, le PQ a été élu avec le slogan « À nous de choisir ». Sur un fond de crise étudiante et de soupçons de corruption, il représentait le changement et avait tout à gagner. Cette fois-ci, c’est le contraire. Prudents, les stratèges du parti ont choisi d’aller au front « avec pas d’slogan ». (Seul le mantra « Plus prospère, plus fort, plus indépendant, plus accueillant » apparaît ici et là comme une tapisserie.) C’est à la fois habile et déplorable. En déclenchant des élections au moment de son choix avec l’objectif avoué d’obtenir une majorité, Pauline Marois aurait dû, moralement, ancrer son projet dans une proposition claire. En choisissant le flou, elle pourrait passer encore plus de temps sur la défensive… jusqu’à s’autopeluredebananiser? Un mot sur l’esthétique : Oui, les affiches sont épurées. Oui, les photos de candidats sont convenables. Par contre, l’arrière-plan brumeux et la lumière blafarde évoquent davantage le film d’horreur que les lendemains qui chantent.
7,5/10.
F.P.: Pauline s'est doté d'une plateforme hautement «Photoshop» c'est sa vraie campagne à elle et ça se sent. Les lignes éditos, «Plus loin, plus fort, plus accueillant, plus indépendant», sont clairement des piliers qui s'adressent au 25 comtés clés à prendre par le PQ pour devenir majoritaire. On joue la carte de la chef et de la première dame afin de conserver le vote féminin au maximum. Tout est mieux identifié, et les typo utilisés sont claires et lisibles; il faut rappeler que le Québécois moyen est le plus analphabète au Canada. Encore plus vrai pour la cible du PQ, qui est la plus pauvre et la moins scolarisée selon les recherches et les sondages. Au niveau de l'efficacité de leur cible et la réponse de celle-ci dans leur comté-clé, je crois que le PQ remplit son mandat. 5/10 pour la créativité, mais 7/10 pour l'exécution et le respect du brief, et 8/10 pour la clarté et la précision.
6.5/10.
M.B.: Le PQ suggère une plateforme plus qu’un slogan, car la formule est trop longue. C’est tellement positif que ça prête flanc au souhait, au rêve, plus qu’à la réalité. Ça me semble une stratégie qui vise à rassurer la majorité francophone par des balises identitaires qui impliquent la notion de fierté, tout en tentant de déminer les perceptions négatives liées à la Charte et à l’économie. On tire tous azimuts en proposant par contre une approche simplifiée sur les pancartes, dont la structure de lecture me semble toutefois ambigüe.
7/10.
Parti Libéral: «Ensemble, on s’occupe des vraies affaires»
Image tirée de la page Facebook du Parti libéral du Québec.
H.C.: Gérants d’estrades, amateurs de lignes ouvertes et payeurs de taxes, bonjour. « Ensemble, on s’occupe des vraies affaires », clament les affiches du PLQ. Stratégiquement, ça marche. On souhaite faire dérailler la cabale identitaire du PQ et ramener le débat autour des matières fortes du parti; la santé et l’économie. Créativement, là où on aimerait sentir un minimum de magie, on a fait le choix de la démagogie. Est-ce forcément un slogan inefficace? Pantoute. Durant le prochain mois, on risque d’opposer la notion de « vraies affaires » à tout projet péquiste qui diffère de l’agenda libéral. À long terme, c’est un choix qui peut payer. Un mot sur l’esthétique : Comme par le passé, l’artifice prime sur l’authenticité. Certaines pancartes sont même autographiées. Si la CAQ a Legault, les libéraux ont l’égo.
6,5/10.
F.P.: Selon moi la pire exécution, loin de la nature libérale. Couillard éprouve des difficultés à connecter, à se rendre humain et approchable. Tout est donc fait pour adoucir le propos. Le slogan existe principalement pour aller chercher les votes potentiels de la CAQ dans les 25 comtés-clés. La signature de Couillard sur l'affiche n'est pas réussie, et je trouve personnellement que le design ressemble davantage à une pizza. Le logo du PLQ et la charte graphique ne cessent de changer depuis les cinq dernières élections, une technique que je trouve dangereuse. En conclusion: trop de mots, ce qui reflète un besoin de vouloir trop remplir, à mon avis. 2/10 pour la créativité , 4/10 pour l'efficacité au brief et 3/10 pour le slogan et l'exécution.
3.5/10.
M.B.: Je ne crois pas ici à la notion « affairiste » avancée par plusieurs analyste. On tente plutôt d’être rassembleur tout en utilisant une expression populaire qui touchera les tenants d’une droite centriste, pragmatique et lucide, un segment encore présent chez la CAQ. Le slogan sera notamment efficace en Beauce et dans la région de Québec. Le salut du PLQ passe par le retour au bercail de sa clientèle francophone. Une approche pas aussi mauvaise qu’on le croit, malgré des affiches sans saveur.
7.5/10.
Coalition Avenir Québec: «On se donne Legault»
Image tirée de la page Facebook de la Coalition Avenir Québec.
H.C.: La Coalition vire en one-man show? Qu’à cela ne tienne, « On se donne Legault ». Le go pour quoi , en fait? Incapable de s’associer clairement à une idée, le parti rate ce qui était possiblement sa dernière chance d’être perçu comme pertinent, dans un paysage politique à nouveau polarisé par les vieux partis. La CAQ sera-t-elle rayée de la carte? On le saura bientôt. Entre-temps, j’espère que l’auteur de ce slogan déjà tristement célèbre ne récoltera pas 200 $ et ira directement en prison. Un mot sur l’esthétique : Prix de consolation, la CAQ remporte la palme en matière de design. Les affiches sont minimalistes (photos en noir et blanc, pas de slogan) et sympathiques, rien à redire ici.
6/10.
F.P.: On mise tout sur Legault. Les slogans et les pancartes faisant partie intégrante de la communication totale, je crois que Legault et son équipe ont voulu mettre toute l'emphase sur lui, et sur quelques personnes-clés. Le slogan «On se donne Legault», à première oreille, est non pertinent, voire même un peu agaçant. Pour avoir été dans les sous-sols d'église, les quincailleries et les «shops», le message doit passer. Je crois que le message est simplement dirigé pour ramener toute l'attention sur l'homme: Legault, reflétant ainsi l'un des angles stratégiques de la campagne, soit d'opposer Legault a Marois et Legault à Couillard. De toute évidence, le PQ et Marois éviteront autant que possible les oppositions en face en face, puisque la stratégie de Legault est justement de faire face. 2/10 pour la créativité, 7/10 pour l'efficacité au brief, et 5/10 pour le slogan et l'exécution.
5/10.
M.B.: La CAQ présente une tentative bien maladroite en faisant rimer le nom de son chef au bénéfice de voter pour ce parti, soit l’élan économique qu’apporterait un éventuel gouvernement caquiste. Même en l’analysant de la perspective de la cible, principalement les péquistes déçus, l’approche me semble faible et limitée. Un point positif: l’affichage est épuré et les photos de Legault plutôt réussies. Rien pour renverser l’exode des électeurs caquistes cependant.
5/10.
Québec Solidaire «Pour l’amour d’un Québec libre, je vote avec ma tête»
Image tirée de la page Facebook de Québec Solidaire.
H.C.: À gauche, ça se passe entre la tête et le cœur. Québec solidaire aurait-il récupéré l’œuvre de Marie-Denise Pelletier à des fins partisanes? À travers les candidats, des photos de tarte, de pompe à essence et de petit couple métissé serré courtisent un public nationaliste déçu par les prises de position péquistes. Sans être particulièrement habile, c’est impossible à ignorer. Le slogan « Je vote avec ma tête », flanqué d’un ti-cœur, lance un clin d’œil au fameux vote stratégique qui pénalise traditionnellement les tiers partis. Du même souffle, c’est aussi infantilisant. Un mot sur l’esthétique : En 2012, QS avait adopté le ton le plus juste avec des photos criantes de vérité. Cette fois-ci, on tire dans toutes les directions. Les inconditionnels apprécieront, mais il ne faut pas compter sur ces affiches pour grimper dans les sondages.
7/10.
M.B.: La plus esthétique des affiches lancées, de loin, mais probablement la plus inefficace. On prêche ici à des convertis avec un slogan en deux temps, plutôt juvénile et moralisateur, qui associe l’amour du Québec à un vote réfléchi. Évidemment, l’organisation tente de se délester d’une perception liée à l’idéalisme théorique, en courtisant de jeunes péquistes déçus par la Charte tout comme des souverainistes associés à Option nationale. La stratégie est réellement trop perceptible, surtout au niveau symbolique.
6/10.