Magazine d’affaires qui passe à d’autres mains. Réseaux de journaux régionaux qui subsistent artificiellement grâce à l’injection de deniers publics. La rentabilité des médias imprimés serait-elle le vague souvenir d’une époque révolue ?

Ah la crise de média… Ou plutôt les crises de média puisque chaque semaine le sujet réapparait à la une des quotidiens ; à croire qu’en mal de contenu, les rédacteurs en chef en ont fait leur sujet d’actualité chouchou. Faire de sa misère son gagne-pain, pas bête.

Question de voir s’il y a de l’espoir, et surtout des solutions, on a demandé à des spécialistes de la communication de se prononcer sur une question qui résume implicitement la situation : que feriez-vous pour rentabiliser votre média ?

Vous allez voir, les avis sont partagés, les solutions diverses, le portrait peu rose, mais un point commun émerge : le statu quo n’est plus une option.

Au rang des accusés, la technologie bien sûr ; l’Internet a tué les médias ;) Les lecteurs aussi, leurs habitudes ayant changé. La compétition, maintenant internationale. Et évidemment les plateformes des Facebook et Google de ce monde qui ont siphonné les revenus publicitaires.

Mais si la faute incombait surtout aux dirigeants de ces médias en mal d’amour ?

Francis Gosselin, partenaire chez SAGE — un cabinet de consultation stratégique — est catégorique à ce sujet : il faut passer à autre chose. Les dirigeants de ces médias « ont tellement mal géré leurs transitions, dans une autre industrie, ils auraient perdu leur job depuis longtemps », déclare-t-il. « Je trouve hallucinant qu’on donne de l’argent public aux mêmes personnes qui ont creusé leur tombe. »

Ces fossoyeurs de papier, comme les appelait Jean-Jacques Streliski dans un billet d’opinion publié au Devoir en 2014. En annonçant la fin du journal papier, les grands patrons de Power Corporation adressaient un message aux journalistes, à la concurrence, aux journaux régionaux, aux annonceurs et aux lecteurs eux-mêmes : le monde change, il faut innover.

Mais comme on l’a bien vu quelques années plus tard, la tablette n’est pas l’eldorado des vendeurs de nouvelles. « L’erreur de La Presse fut de penser que les gens iraient sur un seul device, quelle connerie ! » affirme Francis. « L’Internet n’est pas un journal papier dans un écran, c’est une nouvelle façon de consommer l’information », ajoute-t-il.

Bruno Boutot, personnalité bien connue du monde de la communication et des médias québécois, abonde. Dans un épisode de M2, le podcast de Martin Lessard, il affirmait : « les médias ne se servent que du tiers du potentiel d’Internet. » Et il continuait : « ils se voient comme un produit qu’ils fabriquent puis qu’ils envoient à distance ».

Selon lui, les médias devraient s’inspirer de ce qui marche sur internet : le contenu n’est plus autant une finalité qu’un terrain d’accueil, d’échanges, de collaboration.

Dès lors, plutôt que de distribuer magnanimement leur précieux contenu aux fidèles, les dirigeants des médias devraient plutôt les accueillir, véritablement. « Comme on le ferait avec des amis dans notre salon », image Bruno. Les inviter à participer à l’élaboration du contenu et à être rétribués pour leur participation. « Mais ils (les dirigeants) trouvent ça trop compliqué », constate-t-il.

« Il faut élargir le nombre de contributeurs et mutualiser le contenu, propose Francis. Un peu comme maTV le fait. Ou La Fabrique culturelle de Télé-Québec ». Le principe de la découvrabilité prôné par Josée Plamondon implique que les médias « doivent maintenant penser au-delà des faiseurs de nouvelles et engager des data scientists et des community managers pour permettre au contenu (un coût fixe) d’avoir une plus grande portée », ajoute Francis. Et donc engendrer des revenus supplémentaires.

Selon Sonya Bacon, spécialiste image de marque chez Kabane Montréal, la problématique vient aussi d’un criant besoin d’amener (ou de ramener) de la valeur ajoutée. « Une réflexion devrait être amorcée sur la véritable raison d’être de ces médias », suggère-t-elle. Revoir leur positionnement afin de (re ?) devenir pertinent.

Par exemple, la nature intrinsèquement régionale des quotidiens de Groupe Capitales Médias, plutôt que d’être un obstacle, pourrait devenir un élément distinctif fort, croit-elle. Mais la tendance à la concentration a créé l’effet inverse. « Tous diffusent à peu près la même chose alors que l’hyper local pourrait être hyper pertinent », ajoute Sonya.

Dans la même veine, intégrer des plateformes transactionnelles à la eBay permettrait aux médias locaux de récupérer une partie des dollars qu’ils ont perdu avec l’exode des petites annonces vers d’autres plateformes, pense Bruno. D’autant plus qu’il s’agirait là d’une occasion en or « de renouer avec les commerçants locaux. »

La question qui tue. Est-il trop tard ?

Francis pense que oui. Les grands médias imprimés « ont prouvé plus d’une fois qu’ils étaient incapables d’être rentables. Prends une partie des millions de dollars des subventions et donne 500 000 $ à 100 petits médias qui émergent. La plupart des nouvelles idées ne seront probablement pas bonnes, mais peut-être qu’une dizaine d’entre eux trouveront de nouveaux modèles. »

Et vous, que feriez-vous pour les rentabiliser ?

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Francis Gosselin, partenaire chez SAGE

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Sonya Bacon, spécialiste image de marque chez Kabane Montréal

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Bruno Boutot, personnalité des médias