La gronde entre producteurs et techniciens québécois bat son plein alors que de nouvelles menaces de grève planent sur l’industrie de la production audiovisuelle québécoise. Point de vue de vue du syndicat (et discussion sur les demandes de ce dernier) en compagnie de Gilles Charland, directeur général de l’AQTIS.

Gilles Charland

Jeudi, 29 août 2019. Les plateaux de tournage québécois (fort nombreux en cette saison charnière de la production télévisuelle, numérique et cinématographique) se retrouvent momentanément paralysés par le syndicat de ses techniciens, l’AQTIS (Alliance québécoise des techniciens et techniciennes de l’image et du son). Une grève d’une journée venue secouer l’industrie et ponctuer le long bras de fer que se livrent l’AQTIS et l’AQPM (Association québécoise de la production médiatique) depuis plusieurs mois déjà, et ce, en vue du renouvellement des ententes collectives ; mais une grève qui pourrait aussi se répéter si la discussion entamée entre les deux parties ne mène pas à une entente sous peu. « C’est une négociation que je qualifierais poliment de difficile, confie Gilles Charland, directeur général de l’AQTIS. C’est plate d’en arriver là, mais c’est devenu nécessaire. Tout a été fait dans les règles de l’art : nous avons averti les producteurs de notre débrayage quatorze jours à l’avance alors que la loi n’en demande que cinq. Et nous continuerons à exercer ce droit tant et aussi longtemps qu’une oreille attentive n’aura pas été posée sur nos demandes. »

MOINS D’INCERTITUDES

Des demandes que leurs interlocuteurs de l’AQPM jugent déraisonnables. « Je résumerai en disant qu’il n’y a rien de déraisonnable à vouloir offrir une vie décente à ses membres, lance du tac au tac Gilles Charland. En ce moment, ce que nous ressentons, c’est une écœurantite aiguë. Nos membres travaillent dans des conditions extrêmement difficiles où la pression, le stress et le surmenage se côtoient au quotidien. Nous les avons sondés, nos membres, et une très grande majorité d’entre eux veulent que les choses changent, que leur condition de travail s’améliore. Le milieu de l’audiovisuel ne va pas bien, certes, mais les producteurs doivent traiter les artisans de l’ombre avec respect. » La notion des durées garanties de contrats fait, entre autres choses, partie des demandes du syndicat. « Nos membres veulent avoir la certitude qu’ils auront de longues périodes de travail, poursuit-il. Alors que plusieurs productions sont produites sur plusieurs semaines, certains de nos professionnels signent quant à eux des contrats à la semaine, voire à la journée. C’est incompréhensible. Ça prend des garanties de travail sur plusieurs semaines pour être capable de planifier sa vie. »

BONIFICATIONS

Gilles Charland reviendra à plusieurs reprises sur la qualité de vie et l’incertitude de ses membres. « De l’extérieur, il y a quelque chose de très séduisant à l’idée de travailler sur des plateaux de tournage, affirme-t-il. Mais de l’intérieur, c’est autre chose. La vie de pigiste en télé et en cinéma (plusieurs de vos lecteurs en sont) est très stressante. C’est pourquoi nous tentons d’obtenir des bonifications du côté des salaires, mais aussi des assurances et des régimes de retraite. Certains disent que plusieurs de corps de métier que nous représentons font de très bons salaires : oui ! mais quand tu gagnes 500 $ par jour, mais que tu ne travailles que cinq mois par année, ça relativise pas mal les choses. Et je ne vous parle même pas de l’âgisme dont peuvent être victimes certains travailleurs et travailleuses. Quand tu travailles dans un milieu où la performance et la rapidité priment sur tout, mais que ton milieu de travail ne compte sur aucune règle d’ancienneté, on met les seniors de côté et on tire tout le jus possible des plus jeunes. »

VISION

À elle seule, l’AQTIS représente plus de 6000 artisans provenant des 150 métiers liés à la conception, la planification, la mise en place et la réalisation d’une production audiovisuelle. « Mais ce sont avant tout 6000 passionnés habitués à se donner corps et âme pour des productions, poursuit Gilles Charland. Tout simplement parce qu’ils chérissent leur profession et qu’ils adorent les projets sur lesquels ils travaillent. Mais il faut que cesse l’exploitation de ces artisans qui en donnent systématiquement toujours plus que demandé ; qui travailleront jour, soir, nuit, semaine et weekend en peinant à concilier travail et famille. C’est à cela que les producteurs doivent penser. » Le contexte de négociation n’est toutefois pas aidé par le contexte économique actuel, où les coupures dans la culture sont légion. « Les études économiques démontrent pourtant que de mettre de l’argent dans la culture vaut beaucoup, conclut-il. C’est ni plus ni moins qu’un investissement. En Europe, c’est 2 % du budget national que l’on investit en culture. Ici, c’est 1 %. Ce n’est pas assez. Nos gouvernements aussi doivent faire la part des choses pour nous aider. C’est une question de vision. Il en va de la santé de notre milieu. »

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