L’Intelligence Artificielle fascine autant qu’elle inquiète. Et son rayonnement se fait aujourd’hui sentir dans les sphères communicationnelles et publicitaires. L’IA : potentielle alliée ou futur ennemie des créatifs? Jonathan Rouxel répond à nos questions.

Jonathan Rouxel

L’Intelligence Artificielle est un sujet bien à la mode, si l’on peut dire, tout particulièrement à Montréal en ce moment, et de nombreuses voix clament avec conviction que son influence ne fera que s'accroître au cours des prochaines années. Telle est l’opinion de Jonathan Rouxel, entrepreneur créatif bien connu du milieu de la publicité, à qui nous avons demandé si l’IA pourrait sous peu influencer le domaine de la pub et des communications. « Elle le fait déjà!, répond-il du tac au tac. Et de deux manières différentes : soit par la façon dont le contenu est créé, soit par la façon dont il est livré. Les exemples sur la façon de créer du contenu sont très divers. Souvent, c’est un sujet tabou que les créatifs fustigent. Mais il existe plusieurs preuves de concept qui touchent autant aux arts, qu’à la musique, qu’aux contenus vidéos et aux jeux vidéos. Ces preuves de concept indiquent que l’IA va jouer un rôle majeur dans les industries créatives. Cependant, avant même que l’automatisation complète transforme nos métiers, je pense que plusieurs vagues d’assistants, dans différentes sphères créatives (comme le design, la musique et les effets visuels) viendront épauler les créatifs pour les années à venir. »

AU QUÉBEC

On parle souvent de Montréal comme d’une plaque tournante pour l’IA, mais les agences du Québec sont-elles réellement passées à l’ère de la cohabitation avec cette dernière ? « En ce qui a trait aux applications d’intelligence artificielle liées à la recherche, au data et aux insights, je pense que toutes les agences (ou presque) ont accès aux outils comme tableau, picasso labs, adobe experience platform, dit-il. Ce n’est pas les ressources qui manquent. Beaucoup d’argent est investi en média et les marques savent que ce qui nourrit l’intelligence, c’est le data. Mais du côté créatif, les initiatives québécoises sont plutôt rares. J’aime bien la preuve de concept de Lyrebird qui permet de digitaliser des voix humaines pour donner une voix aux marques, mais il leur reste des défis à relever, entre autres en ce qui a trait au délai de réponse et à l’unilinguisme anglais.

ÇA CHANGE QUOI ?

Et existe-t-il des utilisations plus intéressantes à travers le monde dont nous pourrions nous inspirer ? « Tout à fait, affirme Jonathan Rouxel. Le contenu génératif et l'apprentissage profond créent des possibilités de personnalisation qui auraient été impossibles auparavant. Dans le passé, les agences imaginaient une idée singulière qui attirait le plus grand nombre de consommateurs. Cependant, l'IA signifie qu'une grande idée peut maintenant se multiplier en un éventail d'idées, chacune ajustée pour répondre personnellement à chaque consommateur qu'elle pourrait atteindre. » Et qu'est-ce que la venue de l'IA changera concrètement dans l'art de la pratique publicitaire ? « Je suis convaincu que la créativité augmentée changera complètement notre façon de créer et qu’elle influencera les artistes et les créatifs d’agences, poursuit-il. Sans le savoir nous utilisons déjà beaucoup d’outils augmentés par l’AI, la suite adobe est un exemple parmi tant d’autres, mais comme bien souvent dans l’histoire de l’IA, à partir du moment où cette technologie devient mainstream, la mention AI disparaît. »

ET L’ÉTHIQUE ?

Et la question qui nous démange, cette fois : n’y a-t-il, selon Jonathan Rouxel, que de bons côtés à la percée de l’IA ? « Évidemment, la question de l'éthique reste encore à définir, dit-il. La protection des données est essentielle pour une protection efficace de la vie privée. Pourtant, elle est souvent assez mince et incomplète. La plupart des entreprises n'essaient même pas de protéger les données. Elles en sont encore aux premiers stades de développement d'un programme de protection de la vie privée : ils élaborent des stratégies de haut niveau, créent un programme de gestion des fournisseurs, etc. Le problème sous-jacent est que la plupart des entreprises, du moins celles que j'ai rencontrées, n’ont pas de processus de protection des données en place. Elles peuvent avoir un cycle de développement pour leurs produits ou services de base, mais les grandes entreprises manquent parfois de formalités dans tous les aspects de leur développement. Même parmi ceux qui ont des processus de développement de produits formels. À ce sujet, je les invite à rencontrer des gens comme Vincent Bureau, expert de la protection des données personnelles, de la gestion des risques et de la conformité. » En conclusion : y a-t-il des raisons de craindre la venue de l’IA ? « Ce n’est pas demain la veille que les machines vont remplacer la créativité des humains, termine-t-il. Il reste néanmoins des enjeux dont on doit traiter (voir la citation de Yuval Noah Harari en exergue). Je pense qu’on a encore le temps de voir venir, mais le pari que je suis prêt à tenir, c’est que d’ici une vingtaine d’années, des industries complètes seront dominées par des corporations très (trop) intelligentes. »

Quelques liens que Jonathan Rouxel trouve inspirants au sujet de l’IA : ici, ici, ici et ici. Ainsi qu’une présentation qui laisse à réfléchir, ici.

IA