Les internets débordent de généreux conseils sur ce que toute bonne entreprise devrait savoir pour séduire, recruter, engager et retenir ces drôles d’extra-terrestres que sont les millénariaux. Doit-on apprendre le Klingon ?
- Créer un club social
- Organiser hebdomadairement une petite fête
- Fournir les toasts et le beurre de pinotte
- Laisser les gens s’habiller de façon décontractée.
À ces conseils éculés, glanés ici et là sur le ouèbe, vous pouvez ajouter à la liste le sofa bean bag, la tuque de yô aux couleurs de l’entreprise, la machine à espresso made in Italy, les tournois de beer-pong. Mais tout cela fait-il vraiment une différence aux yeux des millénariaux ?
De fait, ils commencent à en avoir assez de se faire infantiliser. Ils l’ont d’ailleurs dit à maintes reprises à nos deux gentilles chasseuses de têtes. Non, ils ne sont pas dupes de vos bébelles. Ce qu’ils désirent est plutôt une mise à jour du monde de travail, basée sur les valeurs d’aujourd’hui. Un gros reboot d’humanisme.
Ce que le monde du travail semble tarder à comprendre. Ou à accepter.
Fanny Larocque, Présidente et head hunter | Agence Charlie
Julie Surprenant, chasseuse de têtes | Grenier Recrutement
« Ils ne veulent plus se tuer au travail 60-70 heures par semaine », me fait remarquer Fanny Larocque, présidente et head hunter chez Agence Charlie. « Le travail n’est plus une fin en soi », il n’est qu’un des nombreux éléments qui fait partie de leur vie, au sens large.
« Ils vont donner tout ce qu’ils ont à donner entre 9 et 5, mais à 5 heures, on passe à autre chose. Leur priorité va à la conciliation travail-famille », ajoute-t-elle. « Des heures flexibles, du télétravail ou le fait de pouvoir finir plus tôt le vendredi auront donc possiblement plus de valeur pour eux qu’un (lointain) fonds de pension ».
Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne s’intéressent pas à leur vie professionnelle. « Au contraire ! », de constater Julie Suprenant, chasseuse de têtes chez Grenier Recrutement. « Ils veulent faire une différence. Même juniors, ils veulent améliorer les choses. Alors nécessairement, si tu ne les valorises pas en ce sens, ils vont aller voir ailleurs. »
Et c’est ce qu’ils font. Nés la souris et la télécommande à la main, leur patience dépasse rarement les 140 caractères. Pas question de s’éterniser. Ça ne marche pas ? On « tinder » la job vers la gauche. Au suivant. On n’a qu’une vie à vivre après tout !
Une étude de Deloitte rapporte que 43 % des millénariaux envisagent de quitter leur emploi dans les deux prochaines années (61 % dans la seule tranche des Z, ceux qui sont nés à partir de 1995). Et 72 % pensent le faire au cours des cinq prochaines années.
Stratégie d’augmentation latérale de salaire, diront certains. Je ne crois pas. Oui, ils quitteront leur emploi pour un 2 000 $ de plus. Mais si ce n’était qu’une simple question d’argent, ne suffirait-il pas de mettre un 2 500 $ sur la table pour retenir le jeune fugitif ? Au prix que coûtent la recherche, l’embauche et la formation d’un nouveau candidat, ça serait bien plus rentable.
Mais ça n’arrive jamais. Parce que ça ne marcherait pas. Ils ne quittent pas leur emploi pour une raison d’argent, ils le quittent parce qu’ils considèrent avoir fait le tour du jardin que l’employeur avait à leur offrir.
Alors, on se réaffaire à séduire la prochaine recrue (provenant elle aussi d’une boite où elle ne pouvait s’accomplir), en espérant que cette fois-là, ce soit la « bonne » personne. And so on… comme disent les Chinois.
La table de babyfoot est au monde du travail ce que le cône orange est à Montréal : un joyeux mea culpa visuel venant souligner un malaisant retard à renouveler des infrastructures périmées. Un signe que les choses semblent changer, sans que l’on comprenne trop vers où on s’en va. Un entre-deux qui s’éternise. Un « on verra ben ». Un « prions pour que ça marche ».
Pendant ce temps, les fabricants de babyfoot se rendent à la banque en riant à gorge déployée.
Y a -t-il de l’espoir ? Ben oui.
Nous sommes passés de l’ère de la consommation de masse à l’ère de la personnalisation, avec une touche de responsabilisation sociale en filigrane. Le milieu du travail doit s’arrimer à cette nouvelle réalité.
Certains employeurs commencent d’ailleurs à « déborder des 32 responsabilités et compétences de la description de poste spécifique », remarque Fanny. « Une fois la personne embauchée, on s’assurera de “modeler” le poste selon les capacités et intérêts de l’individu. Quitte à la faire cheminer à travers d’autres secteurs de l’entreprise. » Intéressant, non ?
« À mon avis , conclut Julie, le phénomène des millénariaux n’est qu’un courant humain en réponse à un courant inhumain, où la valeur de l’individu tend à être remplacée par celle du data, de la productivité et de la rentabilité à court terme à tout prix. »
Non, les millénariaux ne viennent pas de Mars.
Ce sont des Terriens allumés qui aspirent à un équilibre de vie sain. Des gens qui veulent grandir — et faire individuellement une différence — aux niveaux personnel, amoureux, familial, social, écologique et professionnel. Bref, le genre d’employés que tout employeur devrait rechercher, non ?
Et si c’était nous qui étions dans la lune ?
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Pour écouter le podcast avec Julie Surprenant, cliquez ici. Pour écouter le podcast avec Fanny Larocque, cliquez ici.