Le samedi 30 septembre, journée internationale du podcast, j'ai découvert avec intérêt la série d'articles «L'ELDORADO DU BALADO» publiée par Le Devoir.

Je travaille dans l’univers des communications numériques depuis 28 ans. J'ai piloté des centaines de projets de stratégie et de transformation numérique. Mon expertise s'étend également au monde du balado ayant exercé différents rôles sur plus de 25 séries de balados, qui totalisent à ce jour près de 500 épisodes. Ils sont diffusés sur diverses plateformes comme Ohdio, QUB, iHeart, Noovo, ainsi que de manière indépendante. Sachant que notoriété et crédibilité sont deux concepts distincts mais étroitement liés, j'ai cru que de le préciser aiderait pour la suite de mon propos.

Je me suis d’autant plus intéressé à ce dossier qu’il est publié pile dans la continuité du Festipod 2023 où j'ai eu l'honneur de recevoir le ministre de la Culture et des Communications du Québec, Mathieu Lacombe, pour l'enregistrement d'un épisode en public de mon balado «Les Engagés Publics». L'épisode en question, intitulé «La place du balado dans l'écosystème culturel québécois», aborde plusieurs des questions soulevées dans la série du Devoir.

C'est donc avec un œil critique, mais aussi avec la perspective d'un praticien de l'industrie, que je souhaite répondre à plusieurs des propos tenus dans cette série.

Repenser l'entreprise médiatique
Annabelle Caillou, dans son article «Les médias à la conquête du balado» pose deux questions cruciales: comment les médias traditionnels peuvent-ils se démarquer dans un marché saturé de balados? Et comment peuvent-ils utiliser le format balado pour engager de manière significative avec leur public? Voici une piste de réponse.

La première étape est de repenser notre conception traditionnelle de ce qu'est une «entreprise médiatique». Le paysage médiatique a évolué, et il est temps que notre définition évolue également. L'éclatement des groupes médiatiques en tant que grandes unités en témoigne. J’ai l’impression que les entreprises médiatiques ne doivent pas être envisagées sous  l’angle de grandes unités monolithiques, mais plutôt de regroupements d'individus aux talents divers. (vous allez me dire que c’est déjà le cas, je vous invite à pousser ce principe encore plus.)

Le grand public valorise le travail des créateurs de contenus indépendants pour leur authenticité et parce qu'ils jouent un rôle essentiel dans la diversification de l'information et la démocratisation de la parole. Ignorer cette réalité, c'est ignorer une partie intégrante et appréciée de l’écosystème médiatique. Je pense que l’observation de ce phénomène pourrait inspirer la transformation des entreprises médiatiques de demain.

C’est pourquoi j'invite les journalistes, tout comme les créateurs de contenus, à cultiver leur propre marque. Dans un monde où les gens se détournent des nouvelles traditionnelles, développer une marque personnelle forte est la clé pour créer une connexion plus profonde et plus significative avec le public.

Éviter de se placer dans une position d'attente devant le gouvernement
Stéphane Baillargeon dans l’article «Le balado québécois réclame du soutien public pour se développer» soulève des questions cruciales sur le manque de soutien public au développement du balado au Québec. Il pose notamment les questions: comment le manque de soutien public affecte-t-il le développement du balado au Québec, et quelles pourraient être les solutions? Et quels sont les défis spécifiques à la monétisation des balados au Québec, et comment peuvent-ils être surmontés?

Un problème qui dépasse le balado
Je suis d'accord que l'État doit revoir sa participation, un point illustré, pas plus tard que la semaine dernière, par les dernières actions de la SODEC qui exclut encore les producteurs de balados. Toutefois, comme on peut l'entendre dans mon entrevue avec Mathieu Lacombe, le ministre reconnaît l'importance du balado dans l'essor et l'épanouissement de notre culture. Il semblerait que des travaux sont déjà en cours dans différentes instances gouvernementales à ce sujet. Cependant, j'en appelle à une responsabilisation de l'industrie médiatique elle-même. Il est crucial de prendre du recul, car ces défis ne sont pas propres à l'univers du balado; ils s'appliquent aux modèles d'affaires de tous les producteurs de contenu québécois. Cela va jusqu'au débat sur la survie de nos médias nationaux, un défi encore plus criant pour nos petits médias régionaux, locaux et communautaires.

Mathieu Lacombe m’ayant lu sur le sujet exprimait son accord: le modèle d'affaires publicitaire actuel, basé sur le coût par millier d'affichage de la publicité, est inadapté et doit être refondé. Ce modèle conduit à l’échec dans un contexte balado autant que pour l’ensemble de nos médias. Il est impératif de repenser ce modèle pour créer un système plus équitable et durable, et cela sans égard au blocage par Facebook ou Google. Le coût par mille, largement utilisé par les grandes plateformes du numérique, est devenu la notion de référence. Cependant, cette notion sous-entend une performance de masse, ce qui est suicidaire dans notre contexte.

Vers une industrie plus collaborative
Je constate et déplore que le monde de la baladodiffusion peine à s'organiser. J'invite notre industrie à prendre de la hauteur stratégiquement. Je peux comprendre qu’avec le peu de fonds disponibles, le protectionnisme s'installe, et que chacun tire la couverture de son côté. Pourtant, nous aurions tout intérêt à partager et à collaborer avec ouverture et générosité. C'est au prix de ces valeurs que notre domaine s'extirpera de l'étiquette de «média alternatif».

Ce réflexe de peur nous garde dans les marges et ralentit l'industrie, la maintenant en position d'attente devant le gouvernement. J'espère ardemment que les différents intervenants consultés par Le Devoir, ainsi que les autres acteurs de notre industrie, s'unissent pour que nous ayons la représentation que notre médium mérite aux tables où se joue l'avenir de la culture et des communications québécoises.

Pour illustrer ce point, prenons l'exemple de la difficulté de définir ce qu'est un balado. La première question que j'ai posée au ministre Mathieu Lacombe était: «Est-ce que certains Balados sont des produits culturels?» Comme le souligne l'article de Stéphane Baillargeon, «Balado, podcast: qui dit quoi à qui?», cette simple question a des conséquences concrètes tant pour la structuration du secteur que pour le cadrage et la justice des aides publiques éventuelles. Il me semble qu'il serait bénéfique que des représentants mandatés par les membres de la communauté de cette industrie soient présents le jour où les institutions répondront à cette question.

L'importance des créateurs de contenu indépendants
Il est fondamental pour moi d'insister sur un point: toute solution pour l'avenir du balado et des médias au Québec doit impérativement inclure les créateurs de contenu indépendants. Les réflexions menées ne concernent pas uniquement les grands médias traditionnels. J'ai eu l'opportunité d'aborder le sujet avec Mathieu Lacombe et dans une synchronicité incroyable avec l'article «De la télé au balado, recommencer à zéro» d'Étienne Paré, nous avons évoqué les mêmes créations indépendantes réussies comme Ouvre ton jeu de Marie-Claude Barrette et Contact de Stéphan Bureau.

Les créateurs de contenu indépendants — baladodiffuseurs, blogueurs, streameurs, vlogueurs — jouent un rôle essentiel dans la diversification de l'information et la démocratisation de la parole. Ils enrichissent notre paysage médiatique de manière significative. Cependant, pour qu'ils puissent continuer à le faire, il est crucial d'ouvrir l'accès aux sources de financement. Le modèle actuel doit être repensé pour être plus inclusif et adapté à la réalité du 21ème siècle.

Donc
Le balado au Québec est à un carrefour. Face aux défis de monétisation et à la nécessité de repenser les modèles d'affaires, l'heure est à l'action. Le gouvernement, les médias traditionnels et les créateurs indépendants doivent collaborer pour créer un modèle d'affaires équitable et durable.

La série du Devoir a révélé non seulement des enjeux importants mais aussi un potentiel immense pour le balado. Ce n'est pas un simple «média alternatif», mais une plateforme puissante pour la culture, l'information et la démocratie au Québec.

Pour avancer, je propose deux actions concrètes: la création d'un regroupement pour représenter les producteurs de contenus balado et une collaboration étroite avec le groupe d'experts visant à promouvoir la culture et la langue québécoises sur les plateformes numériques.

denis martel

- Denis Martel
Stratège numérique et producteur de balados