Les sondages politiques effectués pour le compte des médias en cours de campagne électorale ont quelque chose de séduisant. Ils nous donnent l’impression de deviner l’avenir et d’exercer un semblant de contrôle sur notre futur immédiat. L’avantage pour le sondeur est manifeste car la diffusion d’un sondage lui permet d’acquérir une notoriété (dans certains cas) enviable. Par contre, c’est également un risque énorme, car leurs projections subissent parfois le très sévère démenti des résultats électoraux réels.

Les élections fédérales tenues cette semaine marquent la fin d’une époque et une polarisation gauche-droite accrue du paysage politique canadien. Cela dit, au lieu de me prétendre analyste politique, je souhaite plutôt rebondir sur les récents événements pour décortiquer la problématique des sondages politiques du point de vue du sondeur.

Effectuer un sondage politique, c’est comme prendre une photo des différents partis ou des candidats à un moment précis dans le temps. Or, le problème, et les nouveaux outils de communication l’amplifient, c’est que les perceptions et les partis n’arrêtent pas nécessairement de bouger au moment où l’on dit « cheese » (le fait que les Québécois préfèrent dire « sexe » au moment de la photo est d’ailleurs possiblement révélateur de certaines différences culturelles, mais cela, c’est pour un autre billet sur ce blogue).

Dans le cas qui nous intéresse, le Bloc était en train de descendre au moment du dernier sondage, tandis que le NPD prenait l'ascenseur pour grimper. Alors que le flou est facile à constater dans une photo classique, il l’est un peu moins quand on mesure un phénomène en mouvance, qu’il soit orange ou bleu. Certes, on se sert des sondages passés, on se valide avec les copains et on vérifie si le vote est figé ou volatile. Il n’en demeure pas moins qu’il est difficile de savoir si on est en mouvance ou en plateau (pour compléter l’analogie, l’équivalent de la vidéo dans le monde des sondages serait une consultation continue ou d’heures en heures. Parions toutefois que le sentiment de lassitude que certains expriment face aux sondages pourrait se transformer en rejet bien senti).

Par ailleurs, la progression des néo-démocrates a certes été mesurée dans les sondages, mais la plupart des analystes ont initialement évoqué le fait que le parti ne serait pas l’un des bénéficiaires de la prime à l’urne. Autrement dit, on soupçonnait que la conviction des répondants affirmant qu’ils voteraient pour le parti de Jack s’effilocherait dans l’isoloir, que ce soit par un changement d’avis soudain ou par une simple non-participation.

Cette hypothèse avait pourtant été validée à maintes reprises dans le passé, notamment lors des élections provinciales en faveur des libéraux. Il faut d’ailleurs savoir que nous sondeurs effectuons tout un travail d’alchimiste pour traduire les intentions de votes générales en pronostics par comté (à ce sujet, je vous invite à consulter threehundredeight.com, l’excellent site d’Eric Grenier).

En effet, la montée en force de certains partis autrefois marginaux (l’ADQ et Québec Solidaire au provincial et les Verts et même le NPD au fédéral) fait en sorte que la traditionnelle répartition des indécis devient un véritable casse-tête, qui existait moins à l’époque où le bipartisme régnait sur le Canada.

Prédire les pourcentages des voies qu’obtiendra chaque parti est une chose, mais, dans notre système uninominal à un tour, cela n’assure en rien la mosaïque politique qui en découlera. Autrement dit, certains médias et une partie de la population sont obnubilés par des pourcentages, alors que ceux-ci n’ont pas toujours un fort pouvoir prédictif sur la répartition des députés en chambre. Le cas du NPD constitue d’ailleurs un exemple éloquent à cet égard.

Il faut comprendre qu’un sondage politique s’effectue, dans les plupart des cas, à l’aide d’un échantillon régional, provincial ou fédéral, mais très rarement dans les différentes circonscriptions. Lorsque c’est le cas, l’échantillon est généralement restreint, ce qui gonfle la sacro-sainte marge d’erreur.

Le corolaire de cette réalité est qu’il existe de la distorsion électorale, que les sondages capturent très mal. Par exemple, il aurait été possible d’obtenir le quart des votes dans toutes les circonscriptions sans obtenir un seul siège. Parlez-en au NPD, qui, en dépit du fait qu’il ait obtenu 32% des suffrages exprimés en Saskatchewan, n’est pas parvenu à rafler un seul des 14 sièges en jeu. Maintenant, imaginez… pour à peine 10 points de pourcentage supplémentaires, le parti a remporté la victoire dans plus des trois quarts des 75 circonscriptions québécoises.

Bref, le sondage politique est un outil plus ou moins adapté aux échantillons régionaux comprenant plusieurs circonscriptions. Les sondages sont plus prédictifs dans le cadre d’élections présidentielles (en France ou aux États-Unis, par exemple), dans les pays ayant instauré le mode de scrutin proportionnel ou pour les votes dichotomiques tels que les référendums. En bout de piste toutefois, j’ai le sentiment très diffus qu’on en verra encore une flopée dans l’avenir.