Chaque année, les prestigieux prix de Cannes Lions célèbrent l’excellence et l’innovation dans l’industrie de la publicité et de la communication créative. Parmi les distinctions les plus convoitées, le Top 10 Creative Directors 2024 met en lumière « les directeur·rices créatif·ves qui ont marqué l’année par leur vision, leur impact et leur capacité à repousser les limites de la créativité. » Basé sur un système de points rigoureusement vérifié, ce classement récompense les talents derrière les campagnes les plus marquantes et innovantes. Les candidat·es se démarquent non seulement par les prix remportés lors des Lions, mais aussi par leur influence globale dans l’industrie, à travers des rôles, des régions et des approches variés.
Cette année, un Québécois brille au sommet du palmarès : le premier rang revient à Xavier Blais, directeur créatif de l’agence Rethink. Parce que c’est une très grande distinction, on a pris quelques minutes avec lui pour discuter de cette grosse nouvelle et tant qu’à y être, on a voulu en apprendre plus sur son parcours, sa vision de la publicité et de la création. On a aussi essayé d’avoir un hint sur son wrap de l’année Spotify, mais ça c’est un secret que Xavier Blais va garder pour lui.
Rethink sur les marches du Palais des Festivals, juin 2024
D’abord, félicitations ! Comment on se sent quand on reçoit un prix comme celui-là ?
Xavier Blais : Imaginez-vous donc que j’avais aucune idée que j’étais en lice pour un prix. Je me doutais que oui, on allait probablement recevoir d’autres distinctions, parce que Rethink a remporté l’agence indépendante de l’année, puis réseau indépendant de l’année, alors, je me doutais de la possibilité de recevoir autre chose pour l’agence.
Mais pas pour toi, en particulier ?
Xavier Blais : Non ! Exact. Donc, c’est un choc. Je l’ai appris en même temps que tout le monde, par un screenshot qu’un ami m’a envoyé. Et c’est étrange, je suis comme sans mot, tellement je me sens honoré. C’est surréel, même une semaine après, je n’ai pas encore de mots pour en parler. Je le prends, je suis fier. Mais c’est une affaire d’équipe. La liste des crédits de tous nos projets qui ont brillé à Cannes en est la preuve. Je reste vraiment humble par rapport à ce prix, parce que dans ma tête, ça prend un village pour arriver là.
Et si on rembobine un peu dans le temps : comment es-tu devenu directeur de création ?
Xavier Blais : Je suis sorti de l’UQÀM avec un bacc en communications profil relations publiques, puis j’ai tenté un certificat en marketing que j’ai jamais fini parce que j’ai commencé aussitôt à travailler en agence. J’ai fait quelque temps à gauche à droite comme concepteur-rédacteur, puis à la pige jusqu’à ce que je trouve chez Rethink, en 2015. De fil en aiguille, j’ai fait mon bout de chemin jusqu’à devenir directeur de création.
Étant donc chez Rethink depuis bientôt 10 ans, qu’est-ce qui fait que l’agence performe aussi bien à tes yeux ?
Xavier Blais : Hum… Plein de facteurs, je crois. Je pense qu’on a des objectifs qui sont très clairs et qui sont très ambitieux. On emploie même un terme qui vient de Jerry Porras : Big Hairy Audacious Goal (BHAG). Un BHAG, c’est une cible claire, convaincante et ambitieuse qu’une organisation se fixe pour elle-même et pour ses employé·es. À partir de ça, on se donne des objectifs pour arriver à notre cible. C’est sûr que c’est loin d’être une formule magique, mais c’est la base solide de Rethink : communiquer des objectifs clairs et ambitieux. Après, ça prend des équipes - que je crois qu’on a - qui ont une compréhension commune des critères d’évaluation des idées et des objectifs. On chante à partir de la même partition, si je peux dire ainsi. On reste aussi ouvert à ce qui nous entoure, on fait beaucoup de revues des pairs, on regarde les idées ensemble, on les partage. Je crois que c’est ça : on socialise les idées beaucoup. Rethink est basée sur une culture du partage et de gens candides, qui tripent sur ce qu’ils et elles font. On ne crée jamais de projets en pensant aux prix, jamais. Et je crois que ça parait.
Être directeur de création, ça demande sans surprise de la créativité. Qu’est-ce que ça veut dire pour toi, ce concept-là ?
Xavier Blais : On dirait que pour moi, la créativité a toujours été une façon de gérer mes insatisfactions. Dans ma tête, ça se met tout de suite en marche pour essayer de trouver une façon de les régler. En fait, c’est ça. Je pense que c’est comme une façon de dealer avec… Personnellement, c’est une façon de dealer avec mes insatisfactions et de penser ou à tout le moins de pousser pour essayer de régler quelque chose qui me rend insatisfait. Des fois, c’est très corpo. C’est comment j’aide ce client-là à vendre tel produit. Littéralement, des fois, c’est très mercantile. C’est comme, comment on vend plus de trucs, mais comment on le fait de la manière la plus intéressante possible ? Puis là, ça devient un défi et ça devient un problème à régler.
Et puis, comment on cultive sa créativité quand c’est notre métier ?
Xavier Blais : C’est toujours un peu les mêmes réponses qui reviennent dans ces affaires-là. Le monde va dire des podcasts. Le monde va dire aller au musée. Le monde va dire… Le cinéma. On dirait que j’aime un peu tout, tu sais. J’aime beaucoup l’art moderne. Il y a un créateur numérique belge, en particulier, que je trouve hyper intéressant, Dries Depoorter. Je me rappelle de «The Flemish Scrollers », un projet original qui s’appuie sur l’intelligence artificielle et la reconnaissance faciale pour repérer et dénoncer les politiciens flamands qui scrollent sur leur téléphone en pleine session parlementaire diffusée en direct. Sa création est comme utile et sert à inciter les gens qui nous représentent sur le plan politique à être plus là durant les assemblées. Mais oui, il y a aussi Twitter, l’actualité. Je sens qu’être près de où les idées et les analyses sortent et s’expriment, c’est une bonne façon pour moi de rester éveillé, conscient et créatif.
Parlant d’art !!! Une question importante pour toi : est-ce que tu travailles avec de la musique ?
Xavier Blais : Hey, ça dépend tellement de ce que je fais. Souvent, oui. Mais quand j’ai vraiment besoin de me concentrer sur la rédaction, non, c’est silence total. Je ne suis pas trop dans la musique lofi beat, je suis plus quelqu’un qui travaille par mood de projets. Sauf que là, je le dis tout de suite, je ne partage pas mon wrap Spotify, parce qu’il est clairement rempli de chansons pour enfants pour de trucs random donc… Je m’arrête là !
Et si on revient à la pub : selon toi, quel est le plus beau superpouvoir de la publicité ?
Xavier Blais : La résilience, c’est le plus gros superpouvoir. Parce qu’il faut être assez naïf·ve pour recommencer chaque jour le même projet, de prendre en compte le feedback, d’écouter et de recommencer. Dans notre métier, on se met vraiment à nu, on prend des risques, tout en sachant très bien que 98 % de ce qu’on propose ne verra jamais le jour. Mais on reste positif·ve. Je dirais que le superpouvoir de la pub c’est un mélange de naïveté et de résilience : se dire que chaque échec prépare le terrain pour la réussite suivante et surtout, continuer de croire que nos idées sont bonnes, pertinentes.
Complète la phrase : une bonne pub, ça prend…
Xavier Blais : De l’écoute. Tout commence par là, en fait. On arrive à une réflexion approfondie quand on tente de comprendre le contexte social, de capter l’ambiance du moment, et d’explorer ce que les gens disent sur des plateformes comme Reddit, X, et compagnies. Il faut aussi se pencher sur le produit, analyser comment les ventes peuvent être traduites en comportements. C’est là que commence le vrai travail. Une fois que l’idée germe, le processus se poursuit avec le peer review, une étape cruciale pour confronter l’idée à d’autres perspectives. Puis vient le feedback des client·es, souvent redouté, mais précieux. Si on écoute bien, on sait que derrière chaque retour se cache une opportunité de creuser plus loin, de poser ces deux ou trois « pourquoi » supplémentaires qui mènent à l’essence du projet. Au bout du compte, une bonne pub repose sur la simplicité. Pas celle qui efface les nuances, mais celle qui rend une idée claire, percutante et mémorable. Pour ça, ça prend de l’écoute.
Quelle est la meilleure publicité de l’année selon le meilleur directeur créatif de l’année ?
Xavier Blais : Le coup de génie de Sid Lee pour Rona, c’est d’avoir renommé les outils pour qu’ils soient super faciles à trouver. Honnêtement, c’est mon coup de cœur. C’est simple, mais ça fait tout : une application qui repose sur un vrai insight, bien pensé, et qui montre qu’ils ont pris le temps d’écouter. Le tout est exécuté de façon charmante, dans un canal qu’on a tendance à sous-estimer en communication. Pas le genre d’initiative qui attire habituellement l’attention, mais justement, c’est là que réside sa force. C’est le genre d’idée qui fait l’unanimité. Bravo à eux et à elles d’avoir eu le cran et la créativité pour aller dans cette direction.
Enfin, la publicité, les communications et le marketing sont des milieux qui bougent vite. Qu’est-ce qui te rend le plus enthousiaste par rapport à l’évolution de la pratique créative ?
Xavier Blais : C’est drôle, mais je ne parlerai pas d’intelligence artificielle. La pandémie, malgré tout, a eu un effet positif : elle a brisé les frontières. Aujourd’hui, je travaille beaucoup avec Toronto et des client·es d’un peu partout. Honnêtement, je ne pense pas que j’aurais eu cette chance avant. L’acceptabilité sociale du visio a vraiment changé la donne, en rendant les connexions plus faciles et naturelles, peu importe la distance. C’est ce que je trouve fascinant : si on a une bonne vision et qu’on est capable de livrer de bonnes idées, il n’y a plus de limites. En tant que Québécois·e, on peut maintenant rayonner bien au-delà de nos frontières. C’est ça qui me rend vraiment enthousiaste : l’idée qu’on vit une époque où les frontières s’effacent et où tout devient possible.
L'agence lors d'une cérémonie de remise des prix aux Cannes Lions, juin 2024