Le sondage Léger x Grenier révèle que la moitié des professionnel·les en communication et marketing du Québec utilisent la rédaction inclusive. Entrevue avec trois professionnel·les du domaine des communications qui révèlent leur impression de l’étude et expliquent le rôle de la rédaction inclusive dans le cadre de leurs fonctions.
Plus en détail, c’est 22% des professionnel·les de l’industrie qui utilisent la rédaction inclusive systématiquement et 28% d’entre eux qui l’utilisent parfois. Au total, c’est 69% des répondant·es qui connaissent les principes de la rédaction inclusive, alors que 19% ne l’utilisent pas malgré cette connaissance. Les professionnel·les œuvrant dans la fonction publique sont plus nombreux à l’utiliser, comparés à ceux travaillant dans d’autres entreprises.
Les chiffres, c’est bien beau. Mais, avant tout, clarifions le concept d’écriture inclusive. En fait, selon la Banque de dépannage linguistique (BDL), au Québec, le terme «écriture inclusive» signifie de faire appel à une formulation neutre, donc d’éviter les mots marqués en genre. Ce que ça veut dire, c’est qu’au lieu d’utiliser le terme «les lecteurs», une formulation inclusive utiliserait plutôt «le lectorat», soit un nom neutre. Les tournures épicènes sont également privilégiées, soit de mettre les hommes et les femmes sur le même pied d’égalité. Au lieu de dire «les citoyens», on dirait «les citoyens et citoyennes». Des tournures épicènes comprennent également d’autres exemples, comme «zone sans fumée» au lieu de «zone non-fumeurs». À quoi ça sert de délaisser le masculin majoritaire? Le but de cette pratique, c’est d’inclure toutes les personnes d’un groupe.
Inclure tout le monde
Pour Margot Boudreau, conceptrice-rédactrice à l’agence Substance / Radiance, la rédaction inclusive fait partie intégrante de son travail et l’application de cette pratique tire son origine d’une entente avec l’équipe de création et l’équipe de rédaction : «Ça fait partie de ce qu’on croit être bon et ça représente les valeurs de l’entreprise, soit l’équité et la diversité», affirme-t-elle. Cependant, même si cette pratique est mise de l’avant auprès des client·es, différentes techniques sont utilisées en fonction du public cible: Parfois, on n’a pas nécessairement le bon public cible pour utiliser la rédaction inclusive. Par exemple, c’est une moins bonne idée de mettre de l’avant cette pratique lorsque notre public cible a une éducation plus faible ou utilise une langue primaire autre que le français.» Pour Margot, il y a donc un important déchirement entre rendre un texte plus actuel et en faciliter la lecture.
Dans le cas de Frédéric Grenier, chargé de communication pour la ville de Montréal, l’adoption de cette pratique provient d’une initiative personnelle. Pour lui, la rédaction inclusive est importante dans le cadre de son travail, à cause du principe fondamental d’inclusion: «En communication, surtout quand on est dans le public et qu’on s’adresse à toute la population d’une région, on ne peut pas exclure des gens. Quand tu parles à tout le monde, tu veux inclure tout le monde», énonce-t-il.
Du côté de Daphné Bédard, conseillère en communication à la ville de Québec, la rédaction inclusive fait partie entièrement de ses pratiques, puisqu’elle s’appuie sur les normes de l’OQLF et fait affaires régulièrement avec l’Office. C’est une notion qu’elle garde en tête, puisque l’écriture constitue la majeure partie de ses fonctions: «Au service des communications, on privilégie la formulation neutre et la rédaction inclusive quand le contexte s’y prête», affirme-t-elle. Parfois, le contexte ne le permet pas, comme lors de la création de dépliants dont le petit format n’est pas idéal pour la rédaction épicène. Cette pratique est appliquée autant dans les communications internes que dans les communications destinées aux citoyen·nes: «On l’utilise par souci d’inclusion et aussi pour que ça soit intemporel, particulièrement dans les documents écrits.»
Margot Boudreau et Frédéric Grenier
Masculinisation dépassée
Concernant les résultats de l’étude, Margot Boudreau se dit heureuse qu’il y ait autant de personnes connaissant l’écriture inclusive: «Habituellement, il y a des préjugés envers l’écriture inclusive vu que ce n’est pas super bien connu», explique la conceptrice-rédactrice. Selon elle, la masculinisation n’a plus sa place: «C’est une norme établie d’utiliser le masculin, les gens sont habitués.» À son avis, la rédaction inclusive n’est pas si difficile à utiliser et permet facilement d’éviter la masculinisation.
Du point de vue de Frédéric Grenier, il se dit conscient que la rédaction inclusive constitue un concept encore nouveau pour beaucoup de gens: «Nous sommes beaucoup dans le milieu des communications qui avons eu la notion que le masculin l’emporte depuis le primaire, c’est une notion qui reste très ancrée. C’est difficile de lutter contre ça quand c’est une notion apprise depuis aussi longtemps.»
Pour Daphné Bédard, le sondage semble représentatif de ce que la ville de Québec veut promouvoir en termes de communication: «On tend vers la rédaction inclusive de plus en plus et on va former les gens pour qu’ils sachent comment l’utiliser.» Une réflexion sur l’inclusion des citoyen·nes aurait également été amorcée depuis plusieurs mois: «Une stratégie de diversité et d’inclusion a été lancée depuis plusieurs mois. C’est une priorité pour la ville d’avoir un souci d’inclusion et que les citoyen·nes se sentent inclus·es dans toutes les communications.»
Solutions
Quoi faire pour augmenter l’utilisation de la rédaction inclusive? Pour Margot, une des solutions serait de sensibiliser les jeunes sur le sujet: «Lorsque j’écris pour un magasine jeunesse, je fais un effort particulier pour ne pas utiliser le masculin, vu que c’est un public plus sensible à ça», affirme-t-elle.
Selon Frédéric Grenier, la solution réside dans la formation et l’éducation: «On doit être formé sur la rédaction inclusive. On entend des termes comme "rédaction épicène", mais à moins d’avoir été formé là-dessus, on ne sait pas ce que c’est et on ne va pas l’appliquer.» Puisque ce n’est pas une notion enseignée à l’école, le chargé de communication souligne l’importance de se renseigner soi-même sur le sujet: «Il y a de plus en plus de guides pour en faciliter l’utilisation. L’OQLF a beaucoup de ressources en ligne, par exemple.» Il ajoute que les entreprises devraient également effectuer des démarches pour obtenir des formations, puisque quelques exemples suffiraient à la compréhension.
Finalement, selon la conseillère en communication, l’accompagnement des employé·es dans cette pratique serait la clé pour démocratiser la rédaction inclusive: «Il faut accompagner les employé·es et les former pour qu’ils·elles soient à l’aise de l’utiliser. Il faut leur expliquer ce que c’est et pourquoi c’est important», explique Daphné Bédard. Tout ça en vaudrait la peine, puisque: «C’est important que les citoyen·nes se sentent inclus·es, peu importe leur genre et leur identité.»
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